CRITIQUE
Si la télé a magnifié les exploits des footballeurs, elle a malheureusement créé une injustice: rejeter dans l’ombre ceux qui n’ont pas pu bénéficier de son exposition. Olivier Margot s’attelle dans ce livre a raconter celui qui fut peut-être le plus grand d’entre eux: Matthias Sindelar. À une époque où ce qu’il reste de l’empire austro-hongrois règne en maître sur le football et où les joueurs sont encore des citoyens lambda, ce fils d’ouvrier immigré tchécoslovaque va être bien plus qu’un joueur de génie. Précurseur technico-tactique de ce qui deviendra le poste de meneur-créateur alors qu’il joue avant-centre (une sorte de Roberto Firmino avant l’heure), passeur génial, buteur émérite, Sindelar avait tout. Et surtout, il avait ce que les footballeurs n’étaient pas censés avoir, surtout à l’époque: la gloire mondaine. Ami du tout Vienne culturel, favori des bourgeoises viennoises tout autant qu’idole des ouvriers de son quartier d’enfance, leader technique de la plus grande équipe de l’époque…le tout sans jamais quitter la rue qui le vit grandir. Sindelar demeure une sorte d’idéal de l’homme qui aurait atteint les sommets sans jamais couper ses racines. Celui qui fréquentait les acteurs en vogue en vivant toujours chez sa mère, le tout Vienne littéraire en étant resté ami avec son instituteur qui, d’ailleurs, l’accompagnera dans sa dernière demeure.
L’homme de papier, surnom donné pour sa capacité à pénétrer les espaces les plus infimes dans une défense, fut surtout le plus bel exemple de résistance à l’occupant nazi. Ami des dirigeants juifs de son club de l’Austria Vienne après qu’ils aient été démis de leurs fonctions par le régime, amitié qu’il revendiquait fièrement. Propriétaire du seul café de Vienne autorisé aux juifs et aux tsiganes malgré l’interdiction formulée par la gestapo. Sindelar fut surtout l’homme qui, à la tête de son légendaire Wunderteam autrichien, transforma en ultime coup d’éclat ce qui aurait du être une mascarade en guise de dernier match face à une équipe d’Allemagne sur le point d’absorber footballistiquement l’Autriche. Exploit qu’il paya probablement de sa vie car le doute subsiste toujours sur la cause réelle de son décès.
En romançant quelque peu certains détails, Olivier Margot raconte cet homme hors du commun dans une ville bouillonnante hors de laquelle, peut-être, son génie n’aurait pu s’exprimer. Dans une période d’instabilité politique qui verra l’Autriche en général, et Vienne en particulier, passer en quelques décennies de l’empire d’Autriche-Hongrie au nazisme en passant par le marxisme, cette capitale culturelle et bohème est un personnage à part entière du livre. Tant l’auteur s’attelle à raconter comment Sindelar, plus que n’importe qui, a su incarner l’âme unique des palais et des cafés viennois.
Homme intègre, footballeur de génie et icône culturelle, Matthias Sindelar méritait bien un ouvrage, même romancé, sur une vie bien plus passionnante que ses seuls exploits balle au pied. C’est désormais chose faite.
L’interview d’Olivier Margot par @DidierKilkenny est à retrouver ici
J’ai adoré le livre et ai découvert un homme extraordinaire, Mathias Sindelar. Une question s’impose : pourquoi n’y a t-il pas encore eu de film (biopic) sur lui et la Wunderteam. Racontée par l’instituteur , par exemple ?
Matthias Sindelar est un footballeur qui a acquit une dimension quasi-mythologique. En plus d’être la figure de proue de la meilleure sélection mondiale des années 1930, l’attaquant de l’Austria Vienne était un ferme opposant au nazisme. Le journaliste Olivier Margot s’est efforcé de retracer la vie du « Mozart du football » en lui attribuant un surnom supplémentaire : « L’homme qui n’est jamais mort ». La légende de Sindelar a traversé le siècle et il reste le plus grand footballeur de l’histoire autrichienne.
https://www.footichiste.com/2020/01/21/livre-olivier-margot-lhomme-qui-nest-jamais-mort/