Des années de braise aux années de pèze
Peu avant de mourir, Jean Norval avait confié ce manuscrit à un ami, ancien compagnon au Miroir du football. J'ai rencontré cette personne lors de la parution des ""Enragés du football"" ...
CRITIQUE
Le foot c’était mieux avant, paraît-il. Si ce lieu commun ne justifie pas forcément un livre, celui-ci présente tout de même un avantage, il s’agit d’un texte écrit dans les années 90 qui, exhumé aujourd’hui, prévoyait déjà avec une précision surprenante ce vers quoi allait tendre le football actuel.
Jean Norval s’attache dans un premier temps à détailler ce qu’il estime être la seule philosophie du football acceptable selon lui: celle du plaisir du jeu dénué de toute idée de compétition acharnée, le football de l’enfance. Cette vision se déroula numéro après numéro dans les colonnes du Miroir du football dont il raconte l’histoire. Magazine au sein duquel Norval a exercé des années ses talents de polémiste et d’idéaliste du football, au sein d’une rédaction libertaire dont tous les membres partageaient peu ou prou ses idées. Le miroir fut de nombreux combats de l’époque, participant notamment activement à la prise du siège de la FFF en mai 1968. Surtout le magazine engagea un combat idéologique contre son ennemi juré: le directeur technique national Georges Boulogne qui exerçait son mandat avec la largeur d’idées d’un sergent instructeur de légion étrangère.
Après cette première partie où Norval raconte le miroir et ce pour quoi le journal s’est battu jusqu’à sa fin en 1979, il s’applique ensuite à dépeindre l’évolution du football des années 1970-80. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a fait preuve d’un caractère visionnaire. Anticipant l’importance croissante donnée au physique dans le foot, pour (mal) singer la Hollande de Cruyff. Prévoyant que les paris sportifs deviendraient un vecteur de (mauvaise) consommation du football. Imaginant les caractères stéréotypés et les platitudes de discours que générerait chez les joueurs l’argent massif. Constatant que rapidement, l’enjeu prendrait le pas sur le jeu et engendrerait une domination du foot ultra défensif et discipliné sur le football créatif (le quart de finale Italie-Brésil du mondial 1982 étant le symbole ultime à ses yeux)…
Alors que le scandale de la création de la super ligue européenne était sur le point d’éclater au moment de la parution de ce livre, il est assez amusant (ou désolant, c’est selon) de constater à quel point un idéaliste du football comme Norval avait, des décennies en arrière, senti la lame de fond qui allait provoquer sa création, même si la conclusion n’était pas formellement écrite.
Alors qu’au milieu des scandales financiers, politiques voire géopolitiques ou sociaux, de nombreux théoriciens se demandent comment réfléchir au football d’après: Des années de braise aux années de pèze peut déjà lancer une solide réflexion sur les tendances qui l’ont amené là. Ce n’est pas le moindre des mérites de ce livre passionnant.
Critique par @didierkilkenny