Eloge des coiffeurs
CRITIQUE A quelques jours de la Coupe du Monde, la concurrence fait rage dans le groupe France afin de distribuer les derniers dossards de titulaires. 23 hommes pour 11 places. ...
CRITIQUE
A quelques jours de la Coupe du Monde, la concurrence fait rage dans le groupe France afin de distribuer les derniers dossards de titulaires. 23 hommes pour 11 places. Le statut de titulaire ou le rôle de coiffeur ? Le 25 avril dernier, Vincent Duluc dévoile une fresque originale sur le statut des remplaçants de l’Équipe de France en Coupe du Monde. De la Coupe du Monde en Uruguay en 1930 au Mondial de Poutine, l’image et le rôle des remplaçants a beaucoup évolué. Alors, on gagne ensemble et on perd ensemble ?
En effet, comme annoncé, le statut des remplaçants n’est plus du tout le même aujourd’hui qu’en 1930. Alors que les premiers coiffeurs parcouraient des milliers de kilomètres pour regarder les matchs en tribune -les remplacements pendant les matchs étant interdits jusque dans les années 60 (!)-, les remplaçants ont peu à peu vu leur « situation » progresser avec les décennies. Désormais pièces essentielles d’une équipe, les remplaçants Bleus de l’Histoire ont connu des fortunes aussi diverses que rocambolesques. Bonheur, déceptions, attentes, coups de gueule. Le coiffeur passe par tous les statuts et c’est ce que souligne Vincent Duluc dans cet ouvrage.
La Coupe du Monde à tout prix même en coupeur de citron
«S’il le faut, je suis prêt à être gardien. Même remplaçant, ça me va. Franchement, être dans les 23 ce serait… Vous imaginez, jouer une Coupe du monde ? Qu’est-ce qu’on peut faire de mieux pour un footballeur ? Pas grand-chose.»
Ces propos étaient tenus en mars dernier par Benjamin Pavard. Appelé dans le groupe France pour la première fois en novembre 2017, le défenseur de Stuttgart est récompensé de sa belle saison outre-rhin par un ticket pour la Russie.
Vincent Duluc le souligne dès les premières pages. Si le sélectionneur s’appuie généralement sur un noyau solide de 15/16 joueurs, la distribution des derniers tickets suscite un intérêt prononcé qui fait surtout le bonheur des supporters, des médias et des spécialistes. Quelles doublures pour les latéraux ? La présence de X ou Y peut-elle bonifier la vie de groupe ? La caractéristique de Z offre-t-elle une alternative solide à l’armada bleue ?
Bref. Être appelé en Équipe de France est déjà perçu comme une récompense pour un joueur surtout si le résultat est là à la fin comme en témoigne les joies indescriptibles des coiffeurs de 98. Les mentalités sur la question ont évolué au fil des années. Porter le maillot bleu pour une Coupe du Monde est une fierté et doit se mériter. Les coiffeurs luttent pour obtenir le droit de jouer sous le maillot bleu. Cependant, ils doivent également accepter le « jeu » de de devoir s’asseoir sur le banc.
Remplaçant au stade, acteur principal de la vie de groupe
A l’inverse des premiers coiffeurs, les remplaçants ont aujourd’hui une importance capitale notamment dans la vie du groupe. On peut caricaturer Didier Deschamps en affirmant que « la notion de groupe est essentielle » mais ce propos est vrai. Vincent Duluc le souligne et on ne peut que l’approuver lorsqu’il dit que la réussite d’une Coupe du Monde passe par une maîtrise de l’environnement mais aussi et surtout une réussite de la vie sociale et la création d’une force collective avec une excellente ambiance de groupe. L’équilibre de ce dernier est le principal souci du sélectionneur au moment de dévoiler les 23 noms au JT de TF1. De plus, la médiatisation toujours plus active autour de l’Équipe de France a contribué à une importance et une implication accrues de la part des remplaçants.
Tous les coiffeurs ne sont pas condamnés à le rester. Une blessure, une suspension d’un titulaire et les cartes sont redistribuées. Quels exemples plus marquants que ceux de Frank Leboeuf en 98 mais surtout Just Fontaine en 1958. Ce dernier était censé démarrer la compétition dans l’uniforme de coiffeur avant de voir son destin basculer. Vous connaissez l’histoire.
« L’histoire officielle a retenu que le meilleur buteur de la Coupe du Monde était un remplaçant, et ça, ça m’emmerde un peu… », Just Fontaine
Un statut de remplaçant lourd et pesant
L’affaire Rabiot (que Vincent Duluc avait pressenti en connaissant le personnage Rabiot) illustre parfaitement la difficulté d’accepter un statut de remplaçant. Même si le parisien n’était que réserviste, son attitude a mis en lumière les « côtés sombres » du coiffeur. C’est un fait : tout le monde veut jouer mais il n’y a que 11 places. De ce fait, les choix du sélectionneur font souvent débat au sein d’un groupe. Un sentiment d’injustice prend le dessus chez certains qui estiment, parfois à juste titre, que leurs performances en club valent mieux qu’un statut de simple remplaçant. L’épisode Barthez/Coupet en 2006 le souligne par exemple.
« Les coiffeurs n’acceptent pas toujours d’attendre au salon », Vincent Duluc
Les différentes épopées françaises en Coupe du Monde soulignent cette scission entre les titulaires et les coiffeurs, une vie de groupe « à deux vitesses ». La médiatisation et l’importance accordée aux remplaçants est moindre par rapport aux titulaires. L’exemple de la blessure de Zizou en 2002 est ici pertinent puisqu’il a notamment attisé une certaine rancœur de la part des remplaçants envers le sélectionneur. Le traitement spécial accordé à la légende avait beaucoup fait parler au sein du groupe.
Un autre exemple très célèbre de ce statut pesant est le documentaire de Vikash Dhorasoo, Substitute. On rappelle le concept pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Vikash Dhorasoo a réalisé ce documentaire pour raconter son aventure de coiffeur pendant la Coupe du Monde 2006. « Partout où tu passes, tu es invisible. ». Un ressenti que les sélectionneurs cherchent à combattre afin de maintenir leurs joueurs concentrés vers l’objectif collectif : une victoire en phase finale de Coupe du Monde.
Chapitres
Chapitre 1. Les pionniers
Chapitre 2. 1958 – A l’ombre des héros de Suède
Chapitre 3. 1966 – Les pêcheurs de Peebles
Chapitre 4. 1978 – Les peintres rebelles de l’Hindù Club
Chapitre 5. 1982 – Séville, une nuit pour la vie
Chapitre 6. 1986 – Vraie magie, faux héritiers
Chapitre 7. 1998 – La gloire pour tous
Chapitre 8. 2002 – Les coiffeurs, des stars
Chapitre 9. 2006 – Tous derrière et ZZ devant
Chapitre 10. 2010 – Pas de tête, pas de coiffeur
Chapitre 11. De 2014 à 2018 – Coiffeurs de tsars
Avis de la rédaction
Vincent Duluc nous livre ici un ouvrage historique pertinent et d’actualité. Retraçant l’ensemble des Coupes du Monde auxquelles la France a pris part, le journaliste de l’Équipe nous apporte un éclairage complet et très intéressant sur le statut de ces hommes de l’ombre. De 1930 à 2018, cette plongée historique dans les différents « Groupe France » met en exergue leur rôle précieux et déterminant mais également leurs difficultés et leurs coups de gueule.
"Il faut savoir choisir les coiffeurs, les remplaçants, ceux qui vont accepter leur statut et qui, en même temps, vont le combattre" @vincentduluc journaliste à L'Équipe et auteur du livre Éloge des coiffeurs invité de #SudRadioMatin #Football
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— Sud Radio (@SudRadio) April 30, 2018
Même si je ne suis pas toujours en accord avec ses propos, il faut admettre que la plume de Vincent Duluc est d’une incroyable qualité. Elle bonifie encore plus le propos. Cette plongée dans la vie de groupe des différentes sélections nous permet également d’en apprendre plus sur le fonctionnement et l’état d’esprit des différentes générations. Les diverses anecdotes comme l’affaire des chaussures de 1978 illustrent le propos de Vincent Duluc de belle manière et sont des clefs de compréhension pour la thématique.
A l’heure où Didier Deschamps doit encore trancher pour certains postes, nul doute que ses choix ne devront pas occulter l’objectif collectif de son groupe à savoir une grosse performance en Russie. Si l’ancien capitaine de France 98 a toujours insisté sur la « notion essentielle de groupe », le bien-être et l’implication permanente des remplaçants devra être un facteur clef à la réussite de sa mission. « Ils sont le secret des étés réussis » rappelle Vincent Duluc. A Didier et ses joueurs de jouer désormais.