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La présentation de l’équipe sur le site internet de Caviar annonce la couleur. Didier Guibelin a interrogé pour nous Antonin Deslandes, rédacteur en chef du magazine Caviar, dont le dernier numéro est consacré au football et à la littérature.
Caviar s’est lancé il y a environ un an. Au moment de vous lancer, vous n’avez pas eu peur que tout ait déjà été dit et fait en matière de traiter le foot dans la presse ?
Personnellement, je suis arrivé un peu après, je n’étais pas là dès le début. Mais en gros, ceux qui ont lancé le projet sont partis du principe que le foot est un objet social à part entière. Et qu’il est donc possible de le traiter sous plein d’angles différents : culturel, sociologique, politique… Et So Foot fait un peu ce travail, mais il n’existe aucun magazine entièrement dédié à cette façon de présenter les choses. Donc, les fondateurs sont partis de cette réflexion-là parce que la « place » existait.
Est-ce qu’au final, quand on voit la diversité des thèmes via lesquels il est possible de traiter le football, on peut presque dire que le football est le sujet le plus universel du monde ? Ou au moins autant que la politique, la musique…
C’est ça. Didier Tronchet le dit d’ailleurs dans le magazine : n’importe qui peut parler du football. Peu importe sa classe sociale, l’âge… On peut se retrouver à parler football avec quelqu’un qu’on ne connaissait pas juste avant, et en évoquant tous les thèmes dont on parlait juste dans ta question précédente. Le football est l’artère principale qui amène à divers canaux vers les sujets de notre société. Que ce soient des sujets territoriaux, comme notre numéro sur le football à la campagne, sociétaux, politiques…
Dans le dernier numéro, vous mettez en titre de l’interview de Jean-Marc Furlan une citation qui en est extraite : « J’ai besoin des livres pour m’humaniser ». Est-ce que ça ne révèle pas finalement qu’être performant dans l’activité footballistique est indissociable d’un bon niveau culturel, contrairement à une croyance largement répandue ?
Exactement. Déjà, il dit que ça lui sert à se sortir régulièrement de la cadence et de la cadence et de la pression infernale subie dans son métier de coach. Il explique notamment qu’il est tellement pris par le temps que la littérature est une échappatoire.
L’autre facette, c’est qu’il explique qu’il a besoin de lire pour comprendre le monde qui l’entoure et, à travers ça, tout ce qui est inhérent au football. Une équipe de football, c’est une micro-société. Et le fait de s’humaniser par le biais de la littérature lui permet de mieux comprendre les autres et mieux interagir avec eux.
Est-ce que, dans votre travail avec caviar, vous n’avez pas l’impression de participer à un mouvement plus global de réflexion amenée au football ? Comme le fait que de plus en plus d’entraîneurs soient issues de formations universitaires pointues, ou certains auteurs comme Ben Lyttleton ou Philippe Rodier qui replacent le foot dans un contexte de réflexion plus global.
Oui. Si on regarde les personnalités que l’on interviewe, il y a plus de personnalités comme des sociologues, des auteurs ou diverses personnalités de la société civile que de personnalités issues du monde du foot. Parce qu’on a envie d’avoir cette approche là avec des gens qui ne sont pas issus du milieu du foot, mais qui ont un regard sur le foot en tant qu’objet social. Donc, oui, ça rejoint un peu ce mouvement là et cette façon de penser le foot.
Vous consacrez votre dernier numéro à la littérature. Et bizarrement, alors que de nombreux cinéastes expliquent qu’il est difficile de filmer le foot, de nombreux écrivains ont magnifié le récit du foot. C’est paradoxal, non ?
En effet. Mais il y a même un paradoxe au sein de la littérature de foot. On parle de Galeano, de Camus ou de Sepulveda… Et même Galeano dit qu’il était la pire jambe de bois ayant foulé les terrains de foot de son propre pays. Et pourtant, aucun autre auteur n’a réussi à aussi bien écrire le football que lui. Il y a d’ailleurs eu une interview intéressante d’Arrigo Sacchi sur Eurosport qui a tourné ces derniers temps où il reprend une phrase de Galeano qui dit que le football est la chose la moins importante des choses importantes (NDLR : la citation exacte est « N’oubliez pas que le football est la chose la plus importante des choses les moins importantes« ).
Un autre paradoxe important sur la littérature de football, c’est la difficulté aujourd’hui à avoir une littérature fictive sur le football. On a beaucoup de biographies ou de rétrospectives historiques. Mais on n’a pas, surtout en France, de littérature fictive sur le football. C’est d’ailleurs très bien décrit dans le magazine par Frédéric Gai de Écrire le sport, qui dit qu’on manque de cela dans le panel de la littérature française.
On a aussi l’impression que l’aseptisation du foot actuel le rend moins accessible à une description littéraire que le football « à l’ancienne », non ?
Pour avoir bossé deux ans pour France Football, il y a déjà l’aspect de la difficulté accrue de l’accès au football pro. Il faut passer par des attachés de presse, des agents… De fait, peut-être que c’est plus simple aujourd’hui de faire des rétrospectives historiques sur le foot ou sur des épisodes marquants de l’histoire du foot. Didier Tronchet, qui est interviewé dans le numéro, a choisi le thème des fantômes de Séville 82. Vincent Duluc a écrit sur les verts dans les années 70… Donc oui, c’est sans doute un peu plus facile de revenir sur des épisodes historiques que sur le foot moderne.
Et pour finir, vous interviewez Roberto de Zerbi dans ce numéro. C’est une volonté, au-delà du fait social, de parler tout de même un peu de jeu ?
C’est sans doute l’article qui sort le plus du cadre défini de Caviar. Car, en effet, l’interview porte sur un aspect terrain. Alors, il y a une rubrique tactique qui est là depuis plusieurs numéros. Dans le numéro précédent, c’était un descriptif tactique de Maurizio Sarri. Et là, on a un peu jeté une bouteille à la mer parce qu’on n’est pas encore très connus, mais ça a pu se faire. Et dans les retours que l’on reçoit, on voit que ça plaît. Donc on peut partir sur l’idée d’un article par numéro axé sur l’aspect terrain, qui donnerait la parole à des coaches intéressants, mais dont on n’entend pas forcément beaucoup parler en France, comme Roberto De Zerbi. On ne sait pas si on pourra avoir un invité aussi prestigieux à chaque numéro, mais on l’espère et on y travaille.
Propos recueillis par Didier Guibelin