L’un a voulu écrire un autoportrait imaginaire du footballeur français probablement le plus clivant ces dernières années pour ce qu’il était hors football. L’autre a écrit un roman où un footballeur se retrouve pris dans la lessiveuse médiatique suite à une accusation de violences conjugales. Nous avons rencontré Gilles Juan et Eric Halphen pour un échange de vues sur les footballeurs et leur image médiatique.
Alors, pour commencer, il y a un thème qui est récurrent dans vos deux livres, c’est la furie médiatique qui entoure les footballeurs dès lors qu’ils sont pris dans une grosse affaire. C’est quelque chose qui vous tenait à cœur de mettre en avant ?
Éric Halphen : C’est un des sujets de mon livre, oui. Montrer comment la justice médiatique prend le pas sur la vraie justice. D’ailleurs, pendant que j’écrivais le livre « Les Divisions« , il y a eu l’acquittement de Benjamin Mendy par la justice britannique. Pourtant, il reste malgré tout persona non grata puisque le FC Lorient a reçu des menaces quand il l’a engagé. Ce qui signifie que même quelqu’un qui a été innocenté, reste condamné aux yeux du public. Alors il y avait certes des éléments pour le condamner, mais pas suffisamment. Donc il reste insortable, entre guillemets.
Et c’est le vrai sujet de mon livre, au-delà du football. Avec les réseaux sociaux, entre autres, tout le monde a un avis sur tout. Les gens se moquent de la vérité des faits, mais aussi de la justice. L’exemple de Benjamin Mendy que je prenais à l’instant illustre bien cela. La vérité judiciaire de l’affaire n’intéresse personne, ce qui compte, ce sont les avis. D’ailleurs, la série télé La fièvre (diffusée sur Canal +, ndr) reprend un peu ce même point de départ.
Dans mon livre, on voit des personnages qui vont s’engager dans les médias, au-delà du désir de Jessica, la femme du joueur accusé de violences conjugales et personnage principal de l’histoire. Et chacun joue son pré carré et sa partition tout en se moquant de savoir ce qu’il s’est réellement passé.
Gilles Juan : Moins ils savent ce qu’il s’est passé, plus ils peuvent rester dans une position de militant. Au fond, ça les arrange presque de ne pas savoir.
Éric Halphen : Dans le football, c’est d’ailleurs vrai aussi en dehors du théâtre judiciaire. Tout le monde a son avis sur tout un tas de sujets. Et médiatiquement, cela a souvent plus de poids que ce qu’il se passe réellement dans les coulisses des clubs ou dans les relations entre les joueurs et les clubs.
Gilles Juan : En ce qui concerne Ribéry, c’est assez différent. Il a en effet été pris dans une furie médiatico-judiciaire avec l’affaire Zahia. Mais moi je voulais vraiment écrire sur le football, l’image des footballeurs et le procès qui leur est souvent fait de ne pas être d’assez bons français. D’ailleurs, j’avais pensé donner au livre comme titre un mauvais français.
Après il y une ambiguïté des footballeurs à ce sujet vis-à-vis des journalistes sportifs. Ils sont souvent très critiques à leur égard, mais sont aussi très soucieux de ce qu’il se dit sur eux. Et aussi des notes qui leurs sont données après les matchs. Donc je développe aussi ce rapport ambigu par rapport aux journalistes et aux médias, du point de vue des footballeurs. Dans le cas de Ribéry, quand les médias ne parlent plus de lui, ça lui manque, finalement.
Et, là-dessus, je rejoins Éric Halphen. On parle énormément des mises en examen mais assez peu du verdict du procès. Parce que Ribéry a été relaxé dans l’affaire Zahia. Certes, elle était mineure au moment où ils se sont rencontrés. Mais Ribéry ne le savait pas et elle a toujours dit qu’il ne le savait pas.
Après, concernant à la furie médiatique qu’a subi Ribéry, il faut aussi se souvenir qu’il a été très mal traité par rapport à son langage. Certains sketchs de l’époque étaient très agressifs. Cela flirtait parfois avec la méchanceté pure. Et dans l’affaire de Knysna, il a fait partie des trois principaux coupables et ça l’a poursuivi toute sa vie ensuite.
Dans vos livres respectifs, je trouve qu’il y a aussi une réhabilitation culturelle des footballeurs. Dans une interview donnée à So Foot, le sociologue Stéphane Beaud avait déclaré que les footballeurs passaient pour des parvenus en cumulant à la fois une grande richesse économique et une apparente pauvreté intellectuelle. Or, Gilles, tu rappelles dans ton livre que Ribéry parle allemand couramment, par exemple. Alors que vous, Éric, le footballeur héros de votre roman est aussi passionné de jazz et d’art.
Éric Halphen : On m’a d’ailleurs dit plusieurs fois que ce n’était pas très crédible d’avoir un footballeur passionné de Jazz. Alors que Lilian Thuram, par exemple, en écoute beaucoup. Et moi je trouvais qu’il n’y avait rien d’incompatible à cela.
Gilles Juan : En fait, comme il n’était pas représentatif, on vous a dit que ce n’était pas crédible.
Éric Halphen : C’est exactement ça. Alors qu’il n’y a aucune raison qu’un footballeur ne puisse pas écouter de Jazz. Et je voulais aussi que le héros de mon histoire soit un footballeur intelligent. Même s’il est silencieux, taiseux et passif. Et c’est une remarque qui m’a été faite plusieurs fois, notamment par des gens qui ne s’intéressent pas au foot. Alors que le jazz me semblait coller avec la solitude que vit Mehdi.
Parce que vous parliez de leur richesse financière, mais ils n’ont pas que ça. Ils ont la notoriété, souvent de belles femmes, de belles maisons… On se demande même ce qu’ils n’ont pas. Et du coup on leur reproche d’être arrivé trop vite là. Même si ça reste très fragile. Parce que, pour revenir à la question précédente, je ne suis pas sûr que les médias soient, de ce point de vue, plus acharnés sur les footballeurs que les écrivains ou les artistes.
Gilles Juan : Je ne suis pas tout à fait d’accord là-dessus. Le fait qu’un footballeur soit susceptible de porter le maillot de l’équipe de France fait qu’il est traité différemment parce qu’on exige de lui une exemplarité que l’on n’exige pas d’autres célébrités.
Pour revenir à la question culturelle, je ne sais pas si Ribéry est exactement comme je le décris dans mon livre. Mais j’ai voulu quelqu’un qui soit assez représentatif de l’idée qu’on se fait d’un footballeur. Et qu’il soit justement intéressant parce qu’il est comme ça. Pas parce qu’il serait original parce qu’il ferait un pas de côté par rapport à ce que l’on attend en général des footballeurs. Donc le footballeur qui écoute du rap, part en vacances à Dubaï… C’est aussi pour ça que j’ai choisi Ribéry.
Un autre point commun m’a beaucoup marqué entre vos deux personnages principaux, c’est l’absence totale de maîtrise des codes médiatiques. Pour Ribéry, tout le monde se souvient de sa désormais légendaire arrivée en short-claquettes sur le plateau de Téléfoot à Knysna. Alors que, dans le cas de Mehdi, dès lors que l’accusation de violences conjugales à son encontre sort dans les médias, il ne communique que par le biais de son agente.
Éric Halphen : Ce qui est plutôt encourageant et rassurant, d’ailleurs. Si tout est cadré et prémédité à l’avance, c’est un peu embêtant.
Gilles Juan : Il n’y a pas de bonne réponse, je pense. Soit les footballeurs ne maîtrisent pas les codes des médias, et ça donne ce genre d’épisodes. Soit ils les maîtrisent à la perfection, et ça donne des propos totalement lisses et ça leur est aussi reproché.
Éric Halphen : Concernant Ribéry, je ne sais pas si c’est une conséquence du fait qu’il n’y arrive pas, ou c’est un peu délibéré et qu’il n’a pas envie de communiquer.
Gilles Juan : Ça dépend des moments. A un moment donné, il n’a plus envie de communiquer avec les journalistes français. Mais vraiment plus du tout. Il ne voulait même plus répondre en français, c’est allé très loin. En revanche, il a longtemps communiqué volontiers. Et c’est une question que je me suis longtemps posée. Quelqu’un qui s’exprime aussi mal et qui le sait forcément (il suffit de voir le nombre de fois où les guignols ont fait des sketchs sur ce sujet) a quand même volontiers continué à s’exprimer. C’est surprenant et c’est une question qui m’a interpellé. J’ai été très à l’écoute de sa manière de parler. Au point qu’au sujet du fameux épisode de Téléfoot à Knysna où il est arrivé très ému, très affecté et maladroit, j’ai gardé ses propos tels quels dans le livre. Je l’ai mis au passé évidemment, puisqu’il raconte ce qu’il a vécu. Mais, presque par provocation, je l’ai laissé. Et je crois, et j’espère, que ça ne fait pas naître d’ironie comme cela a pu être le cas comme ça l’a été lorsqu’on l’a écouté à la télé. J’ai pris très au sérieux cette absence de calcul au moment de s’exprimer.
Éric Halphen : Après, par rapport aux autres personnalités médiatiques auxquels je les comparais tout à l’heure, la particularité des footballeurs, c’est qu’ils sont jeunes. Et ça, on a tendance à l’oublier. Quasiment sortis des centres de formation et du giron familial, ils se retrouvent le plus souvent mariés jeunes, aussi. Ils doivent faire face à tout un ensemble de choses d’un seul coup.
Gilles Juan : D’ailleurs, qui saurait faire ça ? S’exprimer face aux médias si jeunes, c’est très difficile.
Éric Halphen : Le personnel politique se rajeunit, aussi. On le voit d’ailleurs puisqu’on a un premier ministre extrêmement jeune. Je pense que, de plus en plus, les gens qui se destinent à la politique apprennent à s’exprimer.
Ne faudrait-il pas plus de formation à la communication avec les médias dans les centres de formations ?
Éric Halphen : Pas forcément, parce que le côté nature est aussi plutôt rafraichissant.
Oui, mais on voit dans le cas de Ribéry que ce côté nature a pu lui être reproché.
Gilles Juan : Ce n’est pas parce qu’il était nature. Au contraire, le côté nature compense un peu en faisant naître de l’affection aussi. Mais le problème, c’est que sa nature est extrêmement maladroite. C’est toujours valorisé le fait d’être nature. Surtout dans une époque de plus en plus lisse. Mais son côté maladroit joue contre lui. Il y a certaines expressions qu’il a inventé, on ne peut pas ne pas en rire. J’en ai gardé quelques-unes volontairement d’ailleurs. Mais il faudrait que ça s’arrête là et qu’on ne s’acharne pas. Mais à côté de ça, je suis très étonné de certains tics de langage de personnalités politiques ou de journalistes qui eux ont, en revanche, la responsabilité de bien s’exprimer. Au contraire des footballeurs…
Éric Halphen : Et certains le font très bien d’ailleurs.
Gilles Juan : Evidemment. Mais mon propos, c’est surtout de dire que s’ils ne le font pas, ce n’est pas grave.
Autre lien entre vos deux personnages, c’est le lien à l’Islam ou à la culture arabo-musulmane. Ribéry par conversion et Mehdi, même s’il n’est pas religieux, est d’origine égyptienne et marocaine. Dans son livre, Gilles prête d’ailleurs à l’épouse de Ribéry cette phrase pour résumer son changement de statut médiatique : « Avant Knysna, tu étais ch’ti. Depuis Knysna, tu es musulman. »
Gilles Juan : (Il sourit) C’est un résumé de la situation, oui. On oublie qu’avant Knysna, Ribéry était invité aux enfoirés, par exemple. Alors que c’est inimaginable après l’Afrique du sud. Et pourtant, alors qu’il était converti bien avant le mondial 2006, ce n’était pas un sujet médiatique à ce moment-là. Après, pour être complètement honnête, il a lui-même affirmé plus fortement sa relation à l’Islam avec le temps. Même s’il l’a fait petit à petit. Qu’est ce qui a compté à ce sujet ? Je ne sais pas. Mais c’est un sujet central du livre. Parce que j’avais envie d’aborder la question de la religion. Et d’une manière très simple. Vu que c’est à la première personne et que le personnage parle, je voulais réfléchir à la question du rapport à dieu quand on est footballeur. Qu’est-ce qu’on lui demande quand on fait sa prière ? On attend quoi de lui ? Quand le destin ne sourit pas, est-ce qu’on lui en veut ? J’ai essayé de me poser la question de ce que vit un croyant. C’est un sujet que j’essaie d’aborder. Moins sur les côtés médiatiques, comme le fait de faire le ramadan ou pas, que j’ai évacué assez rapidement. Par contre, j’ai essayé de m’intéresser au rapport à son dieu quand on est footballeur. Après tout, si le destin est censé être écrit, quand on n’a pas le ballon après l’avoir mérité, comme Ribéry en 2013, est-ce qu’on en veut à Dieu ? Ce sont des questions que je me suis posé. Donc oui, la religion est au centre de mon livre. Mais moins pour les enjeux médiatiques que les enjeux spirituels.
Éric Halphen : Moi, au-delà de la religion, ce qui m’intéressait, c’était le rapport au racisme. Dans tous ses aspects. A un moment du livre, Mehdi raconte qu’en centre de formation, les blancs se passent la balle entre eux, les noirs se passent la balle entre eux et même chose avec les joueurs originaires du Maghreb. Et ça, ce sont des choses que l’on m’a racontées. Après, il y a des choses scandaleuses en tribunes avec des bananes jetées sur les joueurs noirs. Et même chez les dirigeants, je pense qu’il y a une vision un peu condescendante vis-à-vis de certains joueurs issus de l’immigration. Globalement, dans les clubs, comme dans le reste de la société d’ailleurs, il y a des divisions et des clans qui se créent. Et on voit la même chose dans les prisons où l’on essaie de mettre les gens de même ethnies ensemble pour éviter qu’ils ne se tapent dessus. Et quelque part, dans le foot, il y a ce problème. On a par exemple reproché plusieurs fois à Didier Deschamps de privilégier les joueurs noirs aux joueurs d’origine nord-africaine. Alors que ses choix pouvaient parfaitement s’expliquer sur le plan sportif.
L’un des sujets de mon livre, c’est aussi les clans dans une société, d’où le titre Les divisions. Comment on stigmatise celui qui ne nous ressemble pas. Comment on essaie de mettre à profit son petit pré carré. Et dans ce cadre-là, ça m’intéressait de prendre un joueur d’origine nord-africaine par rapport à ce que les médias pouvaient dire de lui, à ce que pouvaient en tirer de manière symbolique les associations antiracistes. Parce qu’il y a des boutons et que certains sont contents dès qu’ils peuvent appuyer dessus.
Vous racontez tous les deux la rencontre entre votre personnage principal et son épouse. Mehdi rencontre Jessica dans une soirée « mondaine » où les deux semblent se demander ce qu’ils font là. Alors que Ribéry épouse la sœur d’un de ses meilleurs amis. On a l’impression que cette espèce de pression au mariage assez jeune influe beaucoup sur la vie des footballeurs.
Éric Halphen : Je ne crois pas qu’on puisse parler de pression. Mais c’est une envie de se rassurer selon moi. Comme je le disais, ils quittent assez tôt le giron familial pour aller en centre de formation, parfois assez loin de chez eux. Et du coup, ils se sentent un peu seuls, isolés. Et on peut se demander s’ils n’ont pas envie de très vite recréer quelque chose. Parce que ça leur permet de retrouver une assise qu’ils ont perdue.
Gilles Juan : Il y a même l’idée que c’est mieux pour leur carrière. Des témoignages de joueurs disent qu’ils y sont tacitement encouragés. Parce que ça leur donne une stabilité dans leur vie.
Éric Halphen : Oui, parce que le cadre que ça leur donne rassure les dirigeants de clubs. D’ailleurs, on en parle assez peu, mais il y a un côté pantouflard chez les joueurs de foot. Parce que la journée, on est souvent absent, que ce soit pour entraînements, des déplacements… Donc une fois rentrés chez eux, les joueurs de foot évitent d’en bouger. J’ai d’ailleurs voulu le raconter aussi dans le livre.
Gilles, à l’origine, tu as voulu appeler ton livre Un mauvais français. Aujourd’hui que sa carrière est terminée depuis plusieurs années et que les gens prennent tout ça avec plus de recul, penses-tu qu’il a toujours cette mauvaise image ?
Gilles Juan : Il s’est imposé ce que je questionne dans le livre, à savoir la séparation « entre l’homme et l’artiste » que l’on retrouve dans beaucoup de sujets. Il s’est imposé l’idée que c’était un très grand joueur mais une personnalité problématique. Ceux qui avaient de l’affection pour lui l’ont gardée. Et ceux qui ne l’ont pas aimé ou lui en ont voulu gardent une forme de ressentiment. Je ne sais pas ce qui l’emportera. L’idée qu’il méritait le ballon d’or en 2013, je pense que presque tout le monde est d’accord. Tout le monde se souvient aussi de l’humour du personnage, de son côté chambreur. Même sa façon d’utiliser les réseaux sociaux est assez sympa. Il laisse de bons souvenirs de lui, y compris chez ses coéquipiers. Par contre, on voit toujours les blagues sur son langage et je pense que ça ne disparaîtra pas.
Je ne sais pas trop, finalement. Je pense que les suiveurs de football l’estiment. Et ceux qui ne s’y intéressent pas gardent de Ribéry gardent de lui l’image du footeux stupide par excellence. Je pense que la seule chose qui ne fait pas débat, c’est son niveau de joueur.
Concernant cette image que l’opinion publique ont des footballeurs, Éric, vous en avez dévié en le présentant comme un amateur de jazz, mais avez aussi gardé certains des stéréotypes qui y sont associés dans l’opinion publique pour créer votre personnage. Issu de l’immigration, ayant passé son enfance dans un quartier populaire…
Éric Halphen : Le fait que beaucoup de footballeurs sont issus de l’immigration, c’est plus qu’un stéréotype, c’est vrai. Il suffit de regarder les compositions d’équipes pour le voir.
Gilles Juan : Oui, c’est plus qu’une idée reçue, c’est sociologique.
Éric Halphen : Après, pour répondre à la question à proprement parler, je fais de la création romanesque. Je ne fais pas œuvre de journaliste. Je suis romancier et le romancier n’a pas à faire de son personnage un personnage emblématique ou autre. Il fait un personnage qui existe. Qui a son caractère, sa biographie, ses réactions… C’est ça qui m’intéressait. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je voulais que mon personnage ait des origines nord-africaines parce que ça donnait lieu à des réactions d’associations antiracistes et que ça m’intéressait. Après le fait est qu’objectivement, il y a quand même plus de gens originaires des banlieues ou des cités parmi les footballeurs pros que de gens ayant des parents paysans ou citadins par exemple. Donc je voulais à la fois un personnage à la fois très bien individualisé avec ses propres particularités mais qui corresponde globalement à ce qu’on peut penser d’un footballeur. Je n’en ai pas fait un joueur d’échecs. Par exemple, Mehdi roule dans une voiture de sport. Il suffit d’aller sur un parking de centre d’entraînement pour voir que c’est très fréquent chez les joueurs.
Même chose pour le personnage de son épouse Jessica. Je n’ai pas voulu en faire un personnage particulièrement brillant. Mais je ne voulais pas en faire non plus un personnage bébête. Je voulais quelqu’un qui a ses idées, qui ne se laisse pas toujours entraîner.
Et pour les deux, je parle beaucoup de leurs rapports à leurs pères respectifs. Et je les décris longuement parce que c’est important. Et je pense que c’est quelque chose d’important aussi pour Ribéry, d’ailleurs.
Gilles Juan : Oui, je fais une place importante aux parents dans mon livre aussi.
Éric Halphen : C’est d’ailleurs quelque chose que l’on retrouve souvent au football, mais aussi au tennis. Ce côté où l’on se sort du cocon familial mais où l’on garde ses parents comme agent ou manager. Mbappé fait gérer beaucoup de ses affaires par sa mère, par exemple.
Gilles Juan : Dans le livre Des footballeurs au travail de Frédéric Rasera, il y a quelque chose de très intéressant à ce sujet. Il dit que l’on suppose toujours que les milieux populaires d’où viennent les footballeurs sont vraiment les plus difficiles. Et il explique ce n’est pas le cas. Les profils sociologiques qui réussissent viennent quand même de milieux un minimum équilibrés. Des parents qui vivent ensemble, un modèle familial où ils sont soutenus…
Éric Halphen : Pour élargir un peu le sujet, je trouve que le football est un bon angle pour essayer d’apprécier une société dans les aspects liés à la solidarité, à l’éducation, à l’intégration… Est-ce que ce sont les gens plus favorisés, y compris au sein des banlieues, qui s’en sortent le plus ? Je pense que, de ce point de vue, le football amène une focale intéressante. Et c’est aussi pour ça que je voulais un héros issu du milieu du football. Et pour Ribéry, je pense que la question se pose aussi.
Gilles Juan : Oui, elle se pose aussi. D’autant que Ribéry est un cas un peu particulier. Il n’a pas percé via le passage dans un centre de formation. Mais il a un cercle familial présent. Ce que dit Rasera c’est qu’on ne parle pas de milieux aisés, mais qu’il y a un minimum de stabilité requis. Et j’ai intégré cette donnée. Un père qui a joué au foot. Qui l’a emmené avec lui quand il était en amateurs. J’ai fait une famille présente un minimum, et je tenais à ce qu’il y ait ce minimum. Et pas du tout un gamin livré à lui-même qui passe son temps à jouer au foot dans la rue. De même que les pouvoirs publics sont là un minimum aussi. Il ne paie pas sa licence car ses parents ont peu de revenus, par exemple. Ce sont de petits détails, mais j’ai essayé de mettre un peu les pouvoirs publics aussi.
Éric Halphen : Il faut aussi garder en tête que, malheureusement, pour s’en sortir, les jeunes des quartiers populaires n’ont souvent que le sport, le côté artistique, avec le rap par exemple, ou bien chauffeur VTC. Ou bien la drogue, malheureusement.
Au final, ne pensez-vous pas que les footballeurs sont finalement trop faibles pour affronter des enjeux qui les dépassent ? Parce qu’on en fait souvent, au final, des symboles de problématiques qui vont au-delà du foot.
Éric Halphen : Je voulais quand même parler des violences conjugales, qui est justement un problème qui va bien au-delà du foot, parce que ce qui s’est passé ces dernières années a bouleversé les rapports humains. Alors, avec beaucoup de points positifs, comme la libération de la parole des femmes. Mais aussi quelques points négatifs. Parce que porter plainte ne signifie pas dire la vérité. Et de ce point de vue, les footballeurs font souvent partie des accusés. Parce qu’ils sont jeunes, parce qu’ils ne savent pas se défendre, parce qu’il y a de l’argent, parce que ce sont des personnages publics…
Et je voulais mettre une sorte de clignotant sur ce sujet. Oui, la libération de la parole est positive. Oui, c’est majoritairement vrai. Mais dans quelques cas, c’est faux. Et je reviens sur différence entre la vérité judiciaire et la vérité tout court, c’est qu’un magistrat, pour établir une vérité judiciaire, a besoin d’éléments. A la différence d’une personne qui commente sur un réseau social, d’un journaliste ou d’une association qui, eux, peuvent se contenter de la parole de la plaignante.
Gilles Juan : On sent que vous tenez beaucoup à la présomption d’innocence. C’est vraiment un sujet majeur de votre livre. Vous avez pris plaisir à créer un personnage qui critique l’idée même de présomption d’innocence. Et à critiquer cette femme qui critique la présomption d’innocence. Après, il y a, je pense, l’impression chez beaucoup de femmes qui portent plainte que leur parole est suspectée à priori.
Éric Halphen : Il y a d’ailleurs une scène dans mon livre où c’est le cas puisque la femme du personnage principal va porter plainte pour violences conjugales et est très mal reçue. Et c’est en effet quelque chose que l’on entend souvent. Le souci, c’est que le policier comme le magistrat demandent des précisions, parce qu’ils en ont besoin pour leur enquête. Donc il pose des questions. Que s’est-il passé ? Où ? Quand ? Comment ?… Et le rôle de la police et de la justice, ce n’est pas d’écouter une seule voix, mais de chercher à en savoir plus. Même si je pense que les policiers et les magistrats font des efforts pour essayer d’être humains, ils doivent bien poser ces questions.
Gilles Juan : Pour revenir à la question des footballeurs dépassés par les enjeux, oui, je pense qu’ils le sont. Et ce n’est une faiblesse de leur part. Quand on pose cette question, on a l’impression qu’il faudrait les former pour qu’ils soient à la hauteur des enjeux. Je pense le contraire. Qu’il y a un excès d’exigence et qu’il faudrait moins demander au football et aux footballeurs. La situation actuelle est tellement mauvaise qu’on espère que les footballeurs, par leurs statuts de modèle pour cette jeunesse-là, seront des exemples afin d’aider le pays à aller mieux. Ce qu’il s’est passé en 1998 est, pour moi, le coup d’envoi de quelque chose de problématique qui consiste à compter sur le football pour éduquer la jeunesse.
Éric Halphen : Pour abonder dans votre sens, c’est vrai qu’on leur demande beaucoup. D’être des symboles.
Gilles Juan : On leur demande d’être de « bons » français. D’être ce que l’on a tenté de définir avec un ministère de l’identité nationale, être ce qu’une partie de la France cherche à établir comme la norme.
Éric Halphen : Je ne suis pas d’accord. Par exemple, quand la marseillaise est sifflée dans un stade. Je ne trouve pas ça normal. Et je pense que ça doit être condamné, pas sur le plan juridique, mais dans l’opinion publique et par les joueurs eux-mêmes.
On peut se poser la question de savoir pourquoi dans d’autres sports, les sportifs la chantent spontanément et pas au foot par exemple. Même sans forcément condamner. On peut se poser la question de savoir pourquoi beaucoup de footballeurs ne ressentent aucune gratitude envers le pays.
Gilles Juan : C’est la grande question, en effet. Et elle est toujours abordée en présupposant qu’ils ont tort. Et je pense qu’ils ont un rapport problématique à la France. Et il serait intéressant de chercher à savoir pourquoi. Je pense qu’ils ont le sentiment, à tort ou à raison, de ne pas être aimés par leur pays.