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ITW – François Da Rocha Carneiro présente « Un peuple et son football, une histoire sociale »

Votre avis sur ce livre ?

Pour la sortie du livre « Un peuple et son football, une histoire sociale« , LDF a recueilli les propos de François Da Rocha Carneiro, l’auteur du livre.

 

On a l’impression que ton livre répond à deux affirmations que l’on entend souvent. La première, c’est que la France n’est pas un pays de football. La deuxième, c’est que le football n’est pas un phénomène culturel. Il y en avait une qui te tenait plus à cœur que l’autre ?

Probablement la deuxième. En fait ce n’est pas seulement sous l’angle de la culture, c’est sous l’angle du populaire. Parce que, dans cette affirmation selon laquelle le foot n’est pas de la culture, je vois la négation par des élites auto-instituées ou reproduites, souvent socio-économiques ou politiques, la négation de la possibilité d’une culture populaire. C’est-à-dire de cette possibilité qu’a le peuple d’avoir une culture dans laquelle il se reconnaît et qui ne soit pas la culture de l’élite. Cela reprend un peu une célèbre phrase du sociologue Pierre Bourdieu qui disait : « Le musée est important pour ceux qui y vont dans la mesure où il leur permet de se distinguer de ceux qui n’y vont pas. »

C’est donc se détacher de la culture des élites que d’affirmer qu’il existe une culture populaire. Et évidemment les élites peinent beaucoup à considérer le peuple comme capable d’avoir cette culture. Or, justement, tout le monde peut aller au football. Tout le monde peut aller au stade. Que ce soit pour jouer, regarder, se passionner, déconner et même se permettre des choses qui ne sont pas ou peu recommandables, aussi. Mais tout le monde peut y aller, c’est un spectacle ouvert.

C’est donc une culture, un terreau dans lequel nombre d’individus peuvent se retrouver au-delà des seules classes sociales les plus populaires. Parce que la culture populaire n’est pas seulement la culture des classes les plus populaires, même si ça l’est aussi. C’est une culture de forte popularité. On touche là au double sens du mot populaire.

Donc ma volonté était d’historiciser cela. De montrer que, dans l’histoire, il y a un certain nombre d’éléments de réponse qui permettent de contredire cette affirmation qui est excessivement légère. Qui est souvent la marque de la démarcation sociale, et parfois même celle de la vacuité et de l’indigence de la pensée. Je cite Jean Giono à un moment. Alors Giono est tout à fait respectable comme écrivain, mais ceux qui s’abritent derrière lui pour dire qu’il faut cesser de construire des stades pour construire des hôpitaux, ça ne va pas très loin. Affirmer cela n’a jamais permis de construire des hôpitaux.

Maintenant, pour revenir à ta question initiale, je risque aussi de me froisser avec certains passionnés de football qui disent que la France n’est pas un pays de football. Parce que la France est bien un pays de football. Là où beaucoup d’amateurs, parfois des footix, affirment en allant voir d’autres paysages, particulièrement anglais ou espagnols, que la France n’en est pas un.

Alors on n’a pas eu beaucoup de vainqueurs du ballon d’or, par exemple. Mais on a quand même quatre finales de coupe du monde masculine disputées sur les vingt-cinq dernières années. On a une capacité de formation qui permet à l’Ile de France de fournir le plus grand nombre de joueurs de très haut niveau au monde, devant l’agglomération de Sao Paulo. Et on a un système fédéral de maillage territorial qui permet à des milliers d’enfants chaque semaine de passer plusieurs heures à jouer au football en club. C’est un vrai vecteur d’éducation. Et affirmer que l’on n’est pas un pays de football, c’est nier le travail de tous ces éducateurs, tous ces gamins qui jouent, tous ces résultats, tous ces joueurs pros passés par une formation extrêmement exigeante… Donc, oui, la France est un pays de football. Alors, certes, tu ne verras pas en France des matchs de cinquième division avec plusieurs milliers de supporters, comme tu peux le voir en Angleterre par exemple. Mais on a d’autres raisons de se satisfaire.

Tu consacres plusieurs chapitres consécutifs à faire des portraits de certains clubs issus du prolétariat, comme Sochaux, Lens ou Marseille. Ce lien entre foot et prolétariat remonte assez loin. Alors que le foot était au tout début un loisir assez bourgeois, le prolétariat s’en est vite emparé finalement.

Cette partie repose surtout sur des clubs ayant une image prolétaire, même si les clubs en question ne le sont pas systématiquement. Sochaux ou Lens, par exemple, ce sont des clubs créés par le patronat. Il faut donc faire attention à bien distinguer cette image de la réalité des faits.

Maintenant, le prolétariat s’empare du foot dès avant la première guerre mondiale. Dans le prolétariat urbain, tu as des clubs de ce qui va devenir ensuite le football corpo et qui sont liés à des entreprises, mais pas seulement. Tu as aussi des clubs engagés dans un langage travailliste, ouvrier, qui se fondent avant même la première guerre mondiale. Et tu as surtout des joueurs issus du prolétariat qui sont eux-mêmes des petits artisans ou dans un entre-deux entre artisanat et monde ouvrier urbain et qui commencent à gagner leur vie en étant footballeurs. L’exemple-type, c’est Pierre Chayriguès. Il n’a jamais été électricien alors qu’il était pourtant toujours présenté comme tel au cours de sa carrière. Il y aussi l’exemple de Maurice Mathieu, mécanicien et défenseur de l’équipe de France, et qui au lendemain de la première guerre mondiale arrive à Roubaix en échange d’un garage. Donc il n’est pas issu de l’élite, et les premiers professionnels ne sont pas issus des élites économiques.

Ce qui montre que le football a déjà contaminé le prolétariat avant la première guerre mondiale. La seule première guerre mondiale ne suffit pas à expliquer l’arrivée du prolétariat dans le football. Maintenant, il est vrai qu’elle a été un accélérateur. À cause de la promiscuité entre les soldats, et du temps qu’il faut occuper, même si l’armée française met du temps à le comprendre. Mais, au fur et à mesure de l’avancement du conflit, elle finit par admettre qu’il fallait bien trouver quelque chose pour occuper ce temps « entre le cafard et le pinard » pour reprendre l’article écrit par Paul Dietschy. Et puis, outre la promiscuité des soldats français entre eux, il y a aussi celle avec les troupes britanniques. C’est ce qu’avait montré Arnaud Waquet à propos de la Picardie.

Donc il y a plusieurs choses qui expliquent cette « prolétarisation » du goût du football. Mais pour sûr, très rapidement, dans les vingt premières années de sa diffusion sur le territoire français, il contamine déjà les prolétaires les plus citadins. La diffusion, au moins autant que sociale, est surtout géographique finalement. Ce sont d’abord les villes qui sont touchées.

 

Tu consacres aussi un chapitre à la place des débits de boissons dans le football. Alors au début, ils servent surtout de sièges aux clubs, voire de vestiaires. Et c’est quelque chose qui s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui où le bar est surtout devenu l’endroit où l’on regarde les matchs.

Exactement, mais ça reste encore aussi le siège de certains clubs amateurs ou de clubs de supporters de clubs professionnels. Je prends l’exemple du LOSC puisque c’est le club que je supporte, le Chagnot à Tourcoing, c’est un café. Et c’est aussi un siège de supporters très actifs. On peut prendre aussi l’exemple de l’Olympic, qui est le café juste en face du stade Bauer où se retrouvent les supporters du Red Star. Ça reste quand même des lieux qui ne servent pas seulement pour regarder la télé. Mais aussi pour retrouver la société du football qui s’y constitue.

Ce chapitre, pour la communauté historienne, je pense que c’est l’un des deux plus importants de l’ouvrage. Parce que ça permet de rouvrir un dossier que l’on a assez peu ouvert en France jusqu’alors. On a des collègues anglais qui avaient travaillé sur le rapport à la bière, entre autres, qu’a le football. Mais on a assez peu travaillé ça, alors qu’il y a de quoi faire. C’est vraiment un lieu central et c’est un rapport aussi central que ce rapport à l’alcool. Parce que, comme tu le dis, je commence en parlant du café comme siège de club. Mais je termine aussi par le rapport à l’alcool pour les joueurs et les supporters éventuellement. Et même le stade. Race qu’on est quand même dans une hygiénisation des stades aujourd’hui. Hygiénisation qui est assez incroyable et qui marque ces questions de classes sociales. Parce que les occupants des loges VIP ont le droit de boire de l’alcool. Sous prétexte que c’est un possible lieu de restauration. Alors que les occupants des tribunes populaires, ou en tous cas qui ne sont pas VIP, sont exclus de l’accès à l’alcool dans le stade. Ce qui représente un manque à gagner pour les clubs mais qui est avantageux pour les débits de boissons situés autour puisque les supporters boivent souvent beaucoup avant de rentrer ainsi qu’après le match. C’est ce qui explique entre autres pourquoi les anglais arrivent souvent à la dernière minute en tribunes.

 

Tu consacres un chapitre entier à Thierry Roland, dans lequel tu te montres assez sévère d’ailleurs. Pour toi, il est vraiment un emblème du foot en tant qu’objet culturel en France ?

Thierry Roland me pose un peu problème. L’idée d’écrire sur lui, au départ, c’était pour historiciser avec tendresse cette voix du sport populaire. Sauf que la tendresse a disparu au fur et à mesure que je me suis enfoncé dans le dossier. Ce que j’ai retravaillé, sans le découvrir d’ailleurs, avec le regard d’un homme du vingt et unième siècle c’est dur à accepter aujourd’hui. La tendresse disparaît. Il aurait été condamnable à plus d’un titre s’il avait survécu à ses problèmes de santé de 2012.

C’est une voix populaire, on ne peut pas le nier. C’est cette voix qui a diffusé le goût du football, auprès de générations entières dans les années 70-80-90. C’est notamment la voix des années Platini. Donc oui, il est sans nul doute l’un des personnages les plus emblématiques de la culture foot. Le problème, c’est que l’on est justement dans cet entre-deux du mot populaire. Il apparaît comme populaire parce qu’il participe à popularité du football. À un moment où, en France, le football doit aussi montrer qu’il est populaire. Dans les années 60-70, c’était loin d’être gagné. À cette époque, la fédération se battait justement pour améliorer la popularité du football. Parce qu’il était en très forte concurrence avec le rugby notamment. Et le rugby séduisait beaucoup la population, notamment via les diffusions télé à une époque où celle-ci s’implantait dans les foyers français. Donc rien ne garantissait dans les années 60 que le football serait le sport le plus populaire cinquante ans plus tard.

Et Thierry Roland y a pleinement participé. Sa voix incarne à l’époque le football populaire. Et en plus il joue sur la gouaille du parigot. Sur une proximité de l’homme simple et du bon sens populaire. Mais là où il y a une arnaque, quelque part, avec Thierry Roland, c’est qu’il ne vient pas du tout d’un milieu populaire. C’est un rejeton de la bourgeoisie. D’une bourgeoisie qui souffre mais bien installée tout de même. Un rejeton qui n’a pas pu se placer dans les milieux d’entreprise bien installés et que l’on place un peu par piston avec les relations. Un Thierry Roland avec le même parcours de jeunesse mais venant d’un milieu social défavorisé, ça ne donne pas le commentateur mais un raté. Ce qui lui-même reconnaissait, d’ailleurs. Pas ses origines, mais le fait qu’il était un raté qui avait réussi par le goût du foot à se faire une place. C’est un opportuniste. A plusieurs moments de sa carrière il arrive à se placer et à prendre une bonne place qui se présente. Ce qui nécessite du travail d’ailleurs, ce n’est pas un fainéant. Donc on a un opportuniste issu des classes favorisées qui s’impose comme la voix populaire et qui interdit aux autres de l’être. Il a barré la voie d’un Didier Roustan, par exemple. Et son comportement à l’égard des femmes, notamment Marianne Mako, est des plus orduriers.

Et en travaillant sa biographie, là où je pensais trouver de quoi défendre la culture populaire, je tombe finalement sur le monde des élites qui s’attribue le droit au populaire. Qui, finalement confisque aux classes populaires le droit de les représenter. Et cela ressemble à certains schémas politiques d’ailleurs. On peut penser à un certain président des États-Unis qui vient de se faire réélire en se faisant passer pour un homme du peuple alors qu’il est milliardaire. C’est clairement du populisme, mais appliqué au football et pas à la politique. On peut aussi constater que Pascal Praud, qui était l’un des successeurs de Roland, a d’ailleurs fini comme animateur de débats populistes sur une chaîne généraliste.

 

Ces dernières années, il y a eu diverses polémiques en France au sujet des joueurs issus de l’immigration africaine ou maghrébine. Mais tu reviens dans le livre sur la première polémique du genre qui a eu lieu dans l’entre-deux guerres avec le joueur autrichien naturalisé Gusti Jordan. Comme quoi, c’est finalement une polémique qui dure depuis très longtemps alors que beaucoup de gens situent le début de ce phénomène aux propos de Jean-Marie Le Pen lors de l’Euro 96.

Le phénomène date de la veille de la professionnalisation et des débats sur l’amateurisme marron. Yvan Beck avait eu aussi à affronter des critiques, dix ans avant Gusti Jordan. Mais cette figure de Gusti Jordan est vraiment intéressante. Parce qu’il arrive dans la période 1936-1938, au moment où il y a une crispation des idées d’extrême-droite en France. Elles étaient déjà présentes depuis quelques temps. Mais là, on a une formalisation autour du personnage du Gusti Jordan avec des schémas d’accusation qui sont repris quasiment mot pour mot par Jean-Marie Le Pen presque soixante ans plus tard. En gros l’extrême-droite n’est pas inventive et ne fait que se reproduire. Et le problème, c’est qu’il n’y a pas de problème, justement. Le problème, c’est de croire que l’immigré en est un de problème.

Or le football, dans les années trente comme aujourd’hui, c’est une activité qui a besoin de cette main d’œuvre issue de l’étranger. Qui en a besoin parce que c’est une main d’œuvre disponible et souvent talentueuse. Et qui en a besoin aussi parce qu’elle est bon marché. Ce qui explique à la fin des années vingt et dans les années trente, l’arrivée de joueurs issus des empires d’Europe centrale. Parce qu’ils sont moins exigeants en termes de salaires que les britanniques qui constituent alors la principale source de joueurs étrangers. Donc à partir de cette époque, on va aller chercher de plus en plus d’autrichiens, de yougoslaves, de hongrois, ou même quelques tchécoslovaques. Et ces gens venant de pays à moindre niveau de vie se montrent moins exigeants sur leur rémunération. Et on va aussi en chercher à l’autre bout de la planète en copiant le schéma italien. Les italiens ont des oriundi, et bien on va copier la méthode en allant chercher des « oriundi français ». Des sud-américains nés de parents ou de grands-parents français émigrés en Argentine ou en Uruguay à qui l’on va attribuer de droit la nationalité française pour qu’ils ne rentrent pas dans a comptabilité des étrangers. Mais un Hector Cazenave, un Miguel Nahouri ou un Pedro Duarte restent malgré tout argentins ou des uruguayens, bien plus que des français. D’ailleurs, la plupart des oriundi repartent immédiatement en Amérique latine au moment de la déclaration de guerre en 1939. Contrairement à Gusti Jordan, justement. Ce dernier a fait son service militaire après sa naturalisation. Puis il a fait la guerre pour la France et a été fait prisonnier. Mais qui n’est pas assez français aux yeux de l’extrême-droite.

 

En parlant de guerre, tu établis dans un des chapitres du livre un parallèle intéressant entre le football et le service militaire. En expliquant que le centre de formation est assimilable à une vie de caserne, par exemple. C’est quelque chose qui a perduré selon toi ?

Je pense que oui. Ce qui est d’ailleurs une des raisons du virilisme qui est en place dans la société du football. Et quand tu vois les centres de formation aujourd’hui, c’est extrêmement masculin. Et extrêmement régimenté, avec des horaires très fixe, où l’on n’a certes pas la levée du drapeau, mais c’est tout comme. Les centres de formation ne sont pas vraiment des écoles d’émancipation.  Il faut lire le livre d’Hugo Juskowiak, qui est vraiment un livre fondamental sur ce sujet. On est dans un enrégimentement au service d’abord du club, et du football professionnel. Et ce au détriment de l’enfant. En sachant de toutes façons que l’immense majorité des jeunes qui entrent en centre de formation sont écartés en cours de formation. Donc oui, ce côté caserne a perduré. Bien plus que l’esprit du service militaire dans la société française. Dans un centre de formation on est « au service ». On sert l’équipe, le club, l’image du club… Et pas uniquement dans les centres de formation. Lorsqu’un joueur devient pro, il doit tous ces services au club. À ses financeurs et ses supporters. Il y a quelque chose du service permanent. On ne les voit que comme des esclaves dorés. Mais cela reste des esclaves. Ou du moins des employés sous domination.

Donc, oui, il y a toujours cette permanence du lien entre la caserne et le foot. Même si les casernes ont disparu. Mais c’est lié aussi à l’âge des joueurs.

 

Tu traites aussi des revendications sociales très fortes des joueurs des années soixante et soixante-dix, notamment le contrat à temps. C’est quelque chose qui peut paraître impensable aujourd’hui d’entendre parler de revendications sociales chez des footballeurs, vu l’image de millionnaires qu’ils ont dans l’opinion publique. Pourtant, à l’époque, c’était considéré comme normal et même assez soutenu par la population.

Je ne suis pas sûr que les combats sociaux des footballeurs soient finis, d’ailleurs…

Il y a notamment eu l’arrêt « Diarra » il y a quelques semaines (interview réalisée le 12 novembre, l’arrêt étant tombé le 4 octobre, ndr).

On attend qu’il soit mis en pratique d’une part. D’autre part, à qui va servir cet arrêt Diarra s’il est mis en pratique ? Peut-être bien plus aux agents qu’aux joueurs eux-mêmes. Et est-ce que ça ne va pas, finalement fragiliser davantage le sort des joueurs plus que celui des clubs ? Moi, je me méfie d’une aussi « belle » annonce. Cela pourrait en fait être très négatif pour les joueurs.

Ce qui est certain, à mes yeux, c’est que le joueur reste sous domination. Si ce n’est pas sous la domination totale de son club, comme avec le contrat à vie, cela peut être une domination de ses sponsors, de son agent aussi. On a une infantilisation liée entre autres à la formation, et notamment à sa précocité. On a une infantilisation du joueur qui est amené à confier ses affaires à des agents. Et même si le métier est désormais très encadré, on a beaucoup d’exemples d’agents véreux qui ont profité des joueurs en question et les ont placés en difficulté financière en fin de carrière, voire en cours de carrière. Et cela arrive toujours aujourd’hui.

Je suis loin, au-delà de l’arrêt Diarra, d’être optimiste sur l’émancipation sociale des joueurs. Si l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) existe, c’est pour de bonnes raisons. Même si elle n’arrive pas toujours à avoir une position ferme. Car elle est un syndicat de négociateurs. La carrière de Michel Hidalgo le montre d’ailleurs. Il dirige l’UNFP, et dès sa carrière terminée, se retrouve directeur technique national et sélectionneur. Donc ce ne sont pas empêcheurs de tourner en rond. Ce qui pousse d’ailleurs certains joueurs à se retourner contre l’UNFP, comme dans l’affaire des droits à l’image liés aux vignettes Panini. Mais l’UNFP reste le syndicat le plus représentatif. On a d’ailleurs un taux de syndicalisation extraordinaire dans le football professionnel.

Donc si ce syndicat existe, ce n’est pas pour rien. Il y a encore quelque chose à aller défendre et qui nécessite que les joueurs soient représentés. On peut par exemple parler de la polémique récente sur le trop plein de matchs joués. Si ce n’est pas financier, cela peut être sur ce genre de sujets. On est sur un rythme de stakhanovistes, là. On a déjà la multiplication du nombre de blessures qui est indiscutable. On commence à évoquer et constater celle du nombre de joueurs en souffrance mentale. C’est d’ailleurs une nouvelle masculinité. On a le droit de dire que l’on déprime et que l’on souffre ou que l’on a envie de pleurer. Et je crains une multiplications d’accidents cardiaques à l’avenir. Même si les joueurs sont suivis de très près sur le plan médical, mais ça ne suffit pas toujours. On l’a vu avec le cas d’Eriksen lors de l’Euro 2020. Je ne vois pas comment on va pouvoir exiger de ces corps et de leur métabolisme de travailler de façon intensive tous les trois jours pendant plusieurs heures, sans conséquence grave.

Alors oui, ils sont très bien payés. Mais on en arrive au principe des jeux du cirque, là. Comme ils sont bien payés, les spectateurs ont tous les droits.

 

Tu finis le livre sur une phrase un peu ironique où tu paraphrases Johnny Halliday en écrivant, « On a tous quelque chose en nous de Ribéry ». Cela revient un peu sur cet aspect culturel dont on parlait au début de l’entretien. Mais, au-delà de la rime, j’imagine que le choix de Ribéry est aussi lié au fait qu’il symbolise dans l’opinion publique la concentration de tous les défauts que l’on prête aux footballeurs, notamment la faiblesse culturelle.

Évidemment, parce que cela rimait aussi avec Piantoni ou Platini. Ribéry est un choix délibéré. Parce qu’il est à la fois celui qui fait rire, qui rafraîchit. Le bon gars du peuple. De la même manière qu’on évoque souvent la fraîcheur des supporters du RC Lens. C’est si agréable d’aller voir le peuple. Mais par contre, le peuple, dès qu’il commence à voter RN, faire des conneries ou mal dépenser son fric, là, ça devient gênant le peuple. Et on le renvoie à ce qu’il a de plus populaire, absurde et même parfois naïf, avec de l’ironie comme on peut le voir chez les guignols. D’ailleurs, on remarque qu’ils traitaient le personnage de Ribéry de la même façon qu’ils traitaient celui de Papin et son fameux « Ben pourquoi ? ». Le côté populaire un peu con sur les bords. Il est frais mais bête. Et il est malsain dès qu’il commence à être dans le comportement marginal, voire délictuel comme dans l’affaire Zahia. Mais aussi dans le comportement scandaleux de l’ancien pauvre qui a aujourd’hui beaucoup d’argent. Comment ose-t-il manger une entrecôte avec de l’or dessus ? Ça pose problème si c’est Ribéry ou Benzema, mais absolument aucun si c’est le fils de Bernard Arnault.

Ribéry, c’est l’exemple-type de de l’animal de Zoo que certaines élites tendent à aller voir, à admirer tant qu’il est conforme à l’image positive qu’on se fait du peuple. Mais que l’on condamne immédiatement dès lors que ça sort du cadre institué. Gourcuff n’a pas eu à subir cela. Alors qu’il a été condamné pour violences volontaires. Mais on ne l’a pas emmerdé avec ça. Parce qu’il n’incarne pas le peuple. Il est fils de prof. Et d’un prof qui a réussi dans le foot, en plus. Il y a quelque chose du réflexe de classe dans le cas Ribéry, y compris dans les médias. Il suffit de voir la façon dont les médias français ne l’ont pas soutenu en 2013 alors qu’il aurait mérité le ballon d’or.

Donc oui, on a tous quelque chose en nous de Ribéry. Quelque chose de cet entre-deux entre le peuple naïf qu’on aime bien et le peuple qui est condamné.

Propos recueillis par Didier Guibelin

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