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ITW – Kevin Veyssière présente « Mondial : Football Club Geopolitics »

Votre avis sur ce livre ?

Pour la sortie du livre Mondial : Football Club Geopolitics, LDF a recueilli les propos de Kevin Veyssière, l’auteur.

 

La première chose qui ressort dans les débuts du livre, c’est que la création de la coupe du monde est déjà régie par des objectifs géopolitiques ?

 

Clairement. Parce qu’elle s’inscrit dans ce mouvement du début du vingtième siècle qui a pour objectif d’utiliser le sport comme un outil de paix. On peut citer notamment, de ce point de vue, la création des jeux olympiques modernes, ou la création de la FIFA en 1904. Et le tournoi de football va prendre de plus en plus d’importance parmi les diverses compétitions olympiques. Ce qui va conduire à un schisme entre le comité olympique et la FIFA, notamment au sujet de la question du professionnalisme. Ce qui va conduire à la création de la première coupe du monde en 1930. Et cela génère un intérêt géopolitique important sur le pays qui va l’accueillir, en l’occurrence l’Uruguay. Nation de grande tradition footballistique puisque championne olympique en 1924 et 1928, mais petit pays coincé entre le Brésil et l’Argentine.

 

Il ressort aussi autre chose, c’est que la majorité des évènements footballistiques ayant une signification géopolitique sont quand même des matchs de coupe du monde.

 

La coupe du monde étant la compétition qui rassemble le plus de pays de différents horizons, cela semble logique. Certains pays peuvent donc se révéler lors d’une participation comme la Corée du nord en 1966 ou le Zaïre en 1974. Mais après cela peut provoquer des duels ayant une forte signification géopolitique notamment USA-Iran en 1998. Et tout a été fait pour faire de ce match un levier pour une reprise diplomatique. C’est ce que peut générer le tirage au sort.

 

Ensuite, ce qui génère des enjeux géopolitiques, c’est le choix du pays d’accueil. Dans le sens où cela pose des questions de législations sur les droits humains, par exemple.

 

On peut d’ailleurs constater sur ce point qu’aucune coupe du monde n’a généré autant de questionnement sur ces sujets que celle au Qatar.

 

Cette coupe du monde au Qatar englobe beaucoup de problématiques sur le plan géopolitique. La première étant que ce n’est pas un pays de tradition footballistique, qui ne s’était d’ailleurs jamais qualifié pour un mondial avant de s’en voir attribuer l’organisation. Par ailleurs, le Qatar est un pays plutôt jeune sur l’échiquier mondial puisqu’il est indépendant depuis seulement 1971. Donc pour se construire, il a misé sur le soft power sportif. Et les moyens financiers de construire ce soft power, il les tire de ses ressources fossiles, surtout le gaz. Donc c’est un pays qui arrive sur l’échiquier international de manière fortuite, et de manière encore plus précipitée sur l’échiquier politique du sport.

Par ailleurs, c’est la première coupe du monde attribuée à un pays arabo-musulman. On peut rajouter à ça le fait que le Qatar était un pays essentiellement désertique il y a quelques décennies et que les infrastructures de cette coupe du monde, comme l’ensemble du pays d’ailleurs, ont été construites à marche forcée par une main d’œuvre étrangère exploitée, le tout en faisant fi des considérations écologiques. Et comme la FIFA n’a, en sus, posé aucun garde fou pour que ce mondial soit organisé autour de valeurs plus axées sur l’inclusion ou du respect de l’environnement et des droits de l’homme, cela donne un mondial à l’image du Qatar, celle d’un pays totalement artificiel. Image encore renforcée d’ailleurs par la polémique de ces derniers jours sur les faux supporters rémunérés par les dirigeants Qataris*.

 

Un autre aspect qui ressort du livre, c’est le fait que, dans son histoire, la coupe du monde de foot semble tout de même avoir été moins instrumentalisée sur le plan géopolitique que les JO. Notamment au moment de la guerre froide.

 

Oui, c’est vrai. Après, concernant la guerre froide, il faut aussi penser à l’aspect sportif. Les soviétiques ont gagné l’euro 1960, ont atteint la finale en 1988 et ont été souvent qualifiés pour la coupe du monde. A contrario, les USA n’ont pas toujours été qualifiés pendant la période de la guerre froide. Et quand ils l’étaient, ils ne faisaient pas de gros parcours. Donc la rivalité n’avait pas lieu d’être.

 

Il y a pourtant eu des boycotts politiques des coupes du monde de foot. Notamment des pays africains en 1966 pour protester contre le fait qu’une seule place leur était attribuée en qualifications.

 

Revenir à la logique des deux blocs, paradoxalement, elle ressort aujourd’hui plusieurs décennies après la fin de la guerre froide. Notamment sur les attributions d’organisation. Les USA vont organiser la prochaine coupe du monde. La Chine l’envisage aussi… Donc toutes les grosses puissances mondiales, même émergentes pour certaines, veulent briller en organisant le mondial et en ayant une équipe de football performante pour exposer au mieux leur modèle politique face à leurs concurrents.

 

Malgré l’instrumentalisation politique dont elle a été l’objet plusieurs fois, il ne ressort pas de coupe du monde instrumentalisée, même à tort, pour des raisons positives. Comme le mondial de rugby en 1995 l’avait été pour exposer à la face du monde la réunification de l’Afrique du sud après le régime d’apartheid.

 

Je ne suis pas d’accord. La première que l’on peut citer dans ce domaine, même s’il n’en reste forcément que très peu d’images, c’est la première en Uruguay. Elle avait permis de mettre en avant le régime social démocrate du pays, de se distinguer de leurs concurrents continentaux brésiliens et argentins, et de commémorer le centenaire de l’indépendance du pays.

 

Un autre chapitre, même s’il ne s’agit pas d’une organisation mais d’une victoire finale, c’est la coupe du monde 1954. On parle du miracle de Berne, que j’évoque dans le livre d’ailleurs, pour qualifier la victoire surprise de l’Allemagne de l’ouest face à la Hongrie en finale. Ce titre mondial a une importance cruciale dans la renaissance de la nation allemande en offrant un motif de fierté aux allemands environ une décennie après la fin de la deuxième guerre mondiale et du troisième reich. Alors que jusque-là, la fierté d’être allemand pouvait évoquer surtout des idées négatives.

 

Pour revenir sur l’exemple que tu donnes du mondial de rugby en Afrique du sud en 1995, on aurait pu s’attendre à voir ressortir quelque chose de positif du mondial 2010 qui s’y est joué. En offrant, par exemple, une autre occasion de mettre en avant ce pays qui a réappris à vivre ensemble et en mettant en avant le continent africain dans son ensemble. Au final, il en reste certes l’image d’une belle coupe du monde. Mais derrière, il reste une image contrastée de l’héritage de ce mondial, tant dans ce qu’il a donné à voir de la réconciliation sud-africaine que de la place qu’il a donné à l’Afrique du sud dans le monde. Même chose pour le mondial au Brésil de 2014, d’ailleurs. Certains stades, notamment, sont quasiment à l’abandon.

 

Il n’y a jamais eu de boycott du mondial d’une nation importante. Ni de celui de 1978 en Argentine, jouée sous dictature, ni de celui au Qatar qui aurait pourtant été l’occasion “idéale” au vu de toutes les contestations qu’il soulève. Est-ce que tu penses que ça pourrait arriver un jour, tout de même ?

 

Cette coupe du monde représente en effet le summum des dérives de l’industrie du sport spectacle. Et même là, on voit que la FIFA ne bouge pas le petit doigt pour essayer d’améliorer les choses. Par ailleurs, les fédérations et confédérations continentales ont une marge de manœuvre vis-à-vis de la FIFA très réduite. Donc la plupart d’entre elles sont assez réticentes à agir. Même porter un brassard de soutien à la communauté LGBT est interdit par certaines fédérations*. Alors certains dirigeants cachent cela derrière un prétendu apolitisme du sport alors qu’on sait tous que le sport est politique depuis toujours.

 

Pour revenir à ta question et la possibilité d’un boycott. Je pense qu’il faudrait clairement qu’une grosse fédération prenne position sur ces sujets. La Norvège a certes proposé un boycott mais n’était pas qualifiée. Les Pays bas et l’Allemagne ont juste exprimé leur désapprobation, mais sans menace de boycott. Donc on s’aperçoit qu’il y a assez peu de leviers actionnés pour pousser les causes défendues. On peut aussi imaginer un boycott de la part des téléspectateurs qui, en mettant la pression sur la source financière que sont les droits TV, pourrait influer. Mais j’y crois assez peu aussi. Donc finalement, seule une réforme interne de la FIFA pourrait faire bouger les lignes. Et les seules entités à même d’avoir un vrai pouvoir d’influence sur la FIFA sont les États.

 

Est-ce que cette lassitude du trop plein de sport business et ces possibilités, même minimes, de boycott ne pourraient pas profiter aux fédérations parallèles que tu évoques dans tes livres comme la Conifa que tu évoques dans tes livres ? Puisqu’elles pourraient mettre en avant leur côté plus moral que la FIFA.

 

Le souci de la Conifa, c’est que c’est une association qui regroupe des fédérations non reconnues par la FIFA comme la Laponie, l’Ile de Man ou le Groenland. Le souci, c’est que certaines de ces sélections sont des sélections qui représentent des territoires contestés sur le plan politique comme le Haut Karabagh, ou certains territoires ukraniens pro-russe. Par ailleurs, la Conifa a rencontré des problèmes institutionnels qui ont poussé certaines fédérations comme les Cornouailles ou le Darfour à créer d’autres institutions basées sur le même modèle. Donc la Conifa n’a clairement pas les armes pour contrer la FIFA, ses 211 membres et ses milliards de budget.

 

Ce qui serait plus envisageable, c’est de voir l’UEFA, qui est la plus puissante des confédérations continentales, se dissocier de la FIFA. Les deux entités sont déjà à couteaux tirés à cause de la coupe du monde des clubs de la FIFA qui concurrence la ligue des champions. Mais ça paraît compliqué. Parce qu’il faudrait que la majorité des grosses fédérations européennes quittent la FIFA pour suivre l’UEFA. Ce qui créerait, de fait, un nouvel ordre du football mondial.

 

On a beaucoup comparé cette coupe du monde à celle de 1978 jouée en Argentine alors sous la dictature militaire de Videla. Mais cette comparaison est-elle vraiment pertinente, dans le sens où la FIFA a donné ce mondial au Qatar en connaissance de cause alors que le régime dictatorial argentin est arrivé après l’obtention du mondial ?*

 

Elle est attribuée en 1966 alors que l’Argentine est sous une autre dictature militaire. Mais, en effet, il y a ensuite une transition plus démocratique avec notamment le retour au pouvoir de Juan Domingo Peron, élu au suffrage universel. Et c’est à ce moment-là que sera notamment créé le logo officiel du mondial inspiré du signe de victoire de Peron levant les bras. Et quand l’Argentine bascule dans la dictature militaire en 1976, ça n’est pas remis en cause. En utilisant d’ailleurs un motif qui est toujours utilisé aujourd’hui qui consiste à dire que le sport n’est pas politique. La dictature militaire va, par ailleurs, utiliser ce mondial pour essayer de légitimer son régime aux yeux du monde. Notamment en essayant de modifier le logo dont je parle. Mais ce mondial est déjà devenu tellement important, notamment vis à vis des sponsors, que le logo restera inchangé.

 

Pour revenir à ta question concernant le parallèle avec la coupe du monde au Qatar, c’est quand même compliqué. Même si on parle d’exploitation des travailleurs et des morts, on est quand même loin, dans la forme, de cette dictature sanguinaire que l’on trouvait en Argentine à cette époque.

 

Par contre, c’est vrai que 1978 demeure la première coupe du monde où des appels au boycott ont été fortement relayés, notamment en France. Et même chez certains joueurs, notamment l’équipe de Suède.

 

Mais, d’une manière générale, alors que la FIFA nous vend des valeurs d’inclusion, de respect des droits de l’homme et de l’environnement, on est en droit d’attendre que les désignations des pays hôtes tiennent compte de cela. Et on en est très loin aujourd’hui. Pareil pour les jeux olympiques, d’ailleurs.

 

Le Qatar a beaucoup investi dans le sport power en finançant le PSG. N’aurait-il pas été plus pertinent en termes d’image de plus investir dans leur équipe nationale, notamment en naturalisant plus de joueurs, afin de performer avec une équipe à ses propres couleurs ?

 

Je ne pense pas. D’abord parce que le Qatar a fourni de réels efforts pour améliorer la compétitivité de sa sélection. Ce qui leur a permis d’être champions d’Asie en 2019. Il n’y a d’ailleurs que très peu de joueurs naturalisés. Il en a d’origines yéménites et soudanaises mais ce sont des joueurs issus de l’Aspire academy, qui est un centre sportif de haute performance financé par l’état qatari.

 

Alors, peut-être que le Qatar aurait pu utiliser sa puissance financière pour naturaliser plus de joueurs, en effet. Mais ils voulaient garder une certaine légitimité. Par ailleurs, ils avaient essuyé beaucoup de critiques pour avoir massivement utilisé ce procédé lors des championnats du monde de handball.

 

En plus, ils ont un groupe plutôt abordable, donc ils ont une chance de passer.* En plus, ils ont un staff très performant, même dans les catégories de jeunes, car issu du centre de formation du FC Barcelone.

 

Mais on peut par contre se poser la question de la pérennité de cette sélection puisque tout a été prévu uniquement dans le but de la rendre performante lors de ce mondial.

 

                                                                                   Propos recueillis par Didier Guibelin

 

*Entretien réalisé le 16 novembre, quatre jours avant le début du mondial et l’interdiction du brassard “One love” par la FIFA.

 

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