Pour la sortie du livre « Footboys » , LDF a recueilli les propos de Mathieu Tulisi Gabard, l’auteur du livre.
Contacté dès l’âge de douze ans pour rentrer en préformation à Saint Etienne, Mathieu Tulissi Gabard a finalement intégré le centre de formation de Montpellier qu’il a quitté volontairement au bout d’un an car il ne s’y sentait plus heureux. Dans son livre Footboys, il témoigne de certains traitements aussi surprenants vus de l’extérieur que banals à l’intérieur des filières d’élite jeunes. En faisant aussi témoigner ceux qui ont vécu l’aventure à ses côtés comme ses anciens coéquipiers, ses parents ou son premier entraîneur quand il a débuté le foot.
Pour commencer, il y a un parti pris d’écriture qui saute aux yeux dès les premières lignes, c’est le fait que tu emploies un langage très oral. Il manque beaucoup de majuscules, la ponctuation est très limitée, tu comprimes souvent les mots (j’faisais au lieu de je faisais, par exemple)…
Ce n’est pas anodin de passer d’un langage oral à un langage écrit. Il y a une forme de trahison du propos. Et moi avec ce livre-là, je voulais être très proche de la réalité des gens. J’ai d’ailleurs beaucoup travaillé avec les gens que j’ai interviewé pour raconter cette histoire. Je leur ai fait relire leurs propos, je les ai impliqués… L’idée c’était de coller le plus possible à leur originalité. Le centre de formation, c’est un endroit où l’on va formater les jeunes pour les faire correspondre à une sorte de norme. L’idée, c’était de vraiment coller à l’originalité des gens, justement. Avec peu de ponctuation ou de majuscules, pour donner une véritable dynamique.
Le manque de majuscules, c’est souvent dans les passages où c’est toi qui t’exprimes, d’ailleurs.
Totalement, il y a deux modes d’écriture. Quand ce sont des gens que j’interroges, il y a un mode d’écriture plus classique avec majuscules et points à chaque phrase. Mais langage très contracté et alambiqué. Quand c’est moi qui parle, pas de majuscule et pas de point pour créer du lien entre les segments, que ça se lise facilement.
Voilà en gros les parti-pris, ce que je peux m’expliquer. Et puis je voulais surtout faire exister les gens que j’interviewes tels qu’ils sont. Et c’est pour que je fais beaucoup de contractions telles que j’te, j’serais…
Tu as fait plusieurs entretiens avec d’anciens camarades que tu as connus en centre de formation. Alors déjà, est-ce que cela a été facile de les retrouver ?
Oui. Parce que j’avais gardé des contacts avec certains. Et pour le livre, j’ai décidé de rencontrer ceux avec qui je m’entends bien. C’est un livre avant tout affinitaire. On avait gardé des contacts. On s’envoyait toujours des messages. Même si ce n’était qu’une fois par an, le contact n’était pas rompu. Mais en revanche, cela a été quelque chose de se voir et de reparler de tout ça. Pas seulement de prendre des nouvelles mais, au-delà des bons souvenirs, de se rappeler comment s’est passé le centre de formation ? Quels ont été les moments où tu t’es senti mal ? Est-ce qu’il y a eu des maltraitances ?
Alors tu n’as interrogé que des gens qui ont échoué en centre de formation et que tu as côtoyé. Tu n’as pas voulu aussi avoir le point de vue opposé en prenant l’avis de gens qui avaient réussi ? Au FC Versailles, avant ton départ pour Montpellier, tu as joué avec Hatem Ben Arfa par exemple. Son avis aurait pu donner un autre point de vue.
Déjà, c’était beaucoup de travail pour moi d’avoir le point de vue de mes proches, de gens que j’aimais… Je m’étais aussi posé la question d’aller interroger les entraîneurs du centre de formation avec qui ça s’était mal passé, par exemple. Mais il y a surtout un truc, c’est que j’ai pensé que ça pouvait être intéressant de donner la parole à ceux qui n’ont pas réussi, vu que c’est ceux que l’on n’entend pas. Le football du point de vue des perdants. Ceux qui n’ont pas réussi, ceux qui ont fui. Parce que ça représente environ 80% de ceux qui entrent en centre de formation. Et même, de ma propre expérience, j’avais l’impression que c’était plus intéressant.
Mais ta question est intéressante. Après avoir écrit le livre, j’ai rencontré un joueur pro qui joue en championship. Et en discutant avec lui, je m’aperçois que réussite ou pas, on a vécu la même chose. En fait ceux qui ont réussi, ils peuvent se consoler en ayant une carrière et en se disant qu’ils ne l’ont pas fait pour rien. Nous c’est différent. Pas vraiment dans mon cas parce que j’ai arrêté volontairement. Mais comme le dit Antonin* dans le livre, quand tu échoues, tu as l’impression de tomber du haut d’un immeuble. Et au-delà de ça, quand tu creuses en discutant avec ceux qui ont réussi, ils ont subi les mêmes souffrances. Ils ont pleuré le soir, subi les humiliations du coach, les agressions, une éducation sexuelle où l’on fait n’importe quoi… On a ce même vécu. Et c’est là où ce focus est intéressant. Pas la réussite ou l’échec, on s’en fout à la limite. Mais comment on traite ces enfants.
Tu consacres un gros chapitre du livre à interviewer celui que tu appelles Pépé, ton entraîneur dans ton premier club, le FC Garches. Et il donne un tableau très sombre du milieu du football en général, pas seulement des centres de formation. Il explique par exemple qu’on lui a mis des bâtons dans les roues pour l’obtention du brevet d’état parce qu’il n’était pas un ancien joueur pro. En l’interrogeant, tu voulais juste avoir l’avis de ton premier entraîneur sur ton parcours ou tu voulais vraiment élargir la focale sur les dérives globales du milieu comme il l’a fait ?
Ça s’est construit au fur et à mesure, mais ce n’était pas l’idée de base. Moi, l’idée de base, c’était de parler de mon expérience dans le foot. Et en creusant, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’interviewes les collègues. Comme mon pote Rémi* par exemple, parce que lui a connu aussi le centre de préformation au CREPS de Vichy avant le centre de formation. Et puis aussi donc Pépé mon entraîneur, parce que sans lui je n’aurais jamais pu prétendre intégrer un centre de formation. Et Pépé, moi je ne savais pas tout ce qu’il dit sur la FFF. Quand je vois qu’il m’explique tout ça, je me dis que c’est excellent aussi pour le livre. Parce que ça élargit le cadre et donne un regard plus complet. Les pratiques de la FFF vis-à-vis des gens qui se forment au métier d’entraîneur, ce sont aussi des pratiques d’humiliations. Et j’ai eu quelques échos sur le fait que cela fonctionne toujours comme ça à la FFF. Et quand Pépé dit ça, il le dit avec une grande force dans ses propos.
En lisant ses propos, on sent d’ailleurs deux colères chez lui. La première, c’est celle du mépris qu’il a subi dans son travail d’entraîneur malgré le fait qu’il avait des idées et que son boulot donnait des résultats. Et une autre sur le système du foot pro de manière globale liée à la manière avec laquelle tu as été traité.
C’est vrai. Il a beaucoup de colère en lui. Et c’est ce qui est bien dans ce processus de livre, c’est que l’écriture a permis une libération de la parole et des énergies de plein de gens. Que ce soit mes anciens coéquipiers ou Pépé. Rémi me disait que ça faisait très longtemps qu’il avait envie de parler de ça. Pépé aussi, je suis heureux de lui offrir un cadre où ce qu’il a vécu peut s’exprimer et potentiellement faire changer les mentalités et les pratiques.
Pour revenir à Rémi, il raconte son passage en préformation au CREPS de Vichy. Et il explique l’ostracisme décomplexé dont sont victimes les pensionnaires du CREPS au collège. Que ce soit de la part des autres élèves, mais aussi des adultes. On a l’impression de voir les mêmes dynamiques d’exclusion que celles dont sont victimes les classes de SEGPA. A contrario, un joueur comme Vikash Dhorasoo racontait que sa scolarité vécue de manière normale au lycée lui avait permis de grandir sainement. Ne penses-tu pas qu’il serait plus pertinent de tendre vers ce modèle-là pour la formation humaine des jeunes ?
Tout à fait. Et ta formulation est la bonne. On en discutait avec Rémi, justement, qui est aujourd’hui préparateur mental. Et il disait qu’il faudrait que les clubs s’adaptent à chaque individu. Prendre en considération l’originalité et les besoins de chacun qui ne sont pas les mêmes d’un individu à l’autre. Si certains ont besoin d’avoir une scolarité normale en lycée, qu’ils l’aient. Pour prendre le cas de Vikash Dhorasoo que tu cites, lui avait l’avantage d’être en centre de formation au Havre dont il est originaire. Et pouvait donc rentrer chez ses parents le soir.
Il y avait le même cas dans ma promotion du centre de formation avec Lucas* qui était au centre de formation en vivant à Montpellier. Mais ça n’empêche pas de subir certains traitements du centre de formation puisqu’il est viré juste avant les épreuves du bac.
Donc je pense qu’il y a des adaptations à faire en individualisant les solutions et en privilégiant l’épanouissement de l’enfant plutôt que seulement la performance.
On va aborder un sujet que tu as évoqué rapidement en cours d’entretien qui est celui de l’éducation sexuelle. Notamment via le cas de Thomas* qui évoque des scènes effarantes de groupes d’ados en pleine masturbation collectives devant des films pornos.
C’est hyper violent…
Et il raconte aussi des joueurs qui se dépucèlent en faisant venir des groupes de filles exprès.
On est à quasiment sur de la tournante, donc sur des formes d’agressions sexuelles. Et ça c’est très violent. La question des violences des sexistes et sexuelles dans les centres de formation et de préformation, donc des jeunes de treize ou quatorze ans, est un gros problème. Et quand Thomas en parle, on sent un vrai traumatisme. Ce sont des enfants qui sont livrés à eux-mêmes car partis de chez eux à quinze ans, quatorze ans voire treize. Avec des parents qui délèguent l’éducation à des gens qui ne sont finalement pas des éducateurs mais seulement des entraîneurs. Et des entraîneurs à qui on a donné le diplôme les yeux fermés parce qu’ils étaient d’anciens joueurs pros. C’est pour ça, par exemple, que le propos de Pépé sur la formation des entraîneurs est important pour comprendre le problème de manière globale.
Ce que je dis aussi au sujet des entraîneurs, car je ne veux pas mettre tout le poids sur eux, c’est qu’il y a la faute de l’institution qui est défaillante. En leur confiant une tâche qui les dépasse.
En fait, à part les profs, l’encadrement est uniquement sportif.
Exactement. Et que des hommes, en plus. Et c’est un aspect hyper important aussi. L’angle du livre, c’est de le voir sous un angle un peu féministe et antisexiste en considérant le foot comme un Boys club. D’où le titre. Donc des hommes qui perpétuent des pratiques sexistes.
Pour revenir aux joueurs qui faisaient venir des filles au centre de formation, tu vois au téléphone comment ça se passe. Des propos de manipulation pour essayer de les convaincre… Donc elles sont consentantes, mais ce sont des gamines, comme les joueurs sont des gamins. Et ce que je veux dénoncer, c’est comment l’institution ne fait rien pour encadrer les gamins afin que ceci n’arrive pas.
Et il y a aussi les sexualités entre joueurs, comme les masturbations collectives dont on parlait. Et l’effet de groupe fait que tu te sens obligé d’y aller, même si tu n’en as pas envie. Thomas le dit très bien qu’il n’osait pas au début. Et même moi, j’ai subi une agression sexuelle. Je ne l’avais pas réalisé au début, même si je raconte la scène dans le livre. Je ne l’ai formulé que récemment en préparant une interview. Un jour, nous sommes dans la chambre avec Rémi, et il y a un coéquipier qui débarque dans la chambre en se masturbant devant nous. On lui dit de dégager, mais lui rigole et continue. Et c’est une agression sexuelle. Alors il y a divers degrés d’agression sexuelle, avec ou sans toucher. Mais ça en est une. Et ça c’est très important de le formuler pour poser des mots sur ça. Parce qu’en centre de formation, même si on est outrés, ça paraît normal pour nous. Et il faut le dire, pour faire prendre conscience que ce n’est pas normal.
Alors que dans l’imaginaire collectif, il y cette image connue des parents de jeunes prodiges du foot qui les poussent au maximum en espérant la fortune. Mais les tiens ne se comportent pas du tout comme ça. Ta mère est clairement soulagée quand tu décides d’arrêter. Et ton père hésite un peu à te conseiller d’insister mais ça ne dure pas. Tu as vu d’autres cas allant dans le même sens que tes parents ou la majorité se comporte comme dans l’imaginaire collectif ?
On était plusieurs à être dégoûtés du foot quand on y était. A plus en pouvoir, à être tristes, à vouloir arrêter. Et il y a le cas que tu cites de parents qui refusent que le gamin arrête. Rémi en parle dans le livre. Après, ce n’est pas forcément une question financière. Il y a des raisons aussi de chance. Chance de pouvoir réaliser son rêve, mais souvent aussi celui qu’avait le père mais qu’il n’a pas pu assouvir. C’était le cas du père de Rémi. Je crois qu’il était le plus âgé de sa famille et sa mère ne l’a pas laissé partir en centre de formation. Et c’est intéressant de voir comment les désirs non assouvis se répercutent sur les enfants. Un classique malheureusement, et pas que dans le foot. Et c’est important de dire que ce livre parle certes du foot et de la formation dans le foot, mais plus largement de l’éducation en société capitaliste. Et du rapport entre les institutions, les parents et les jeunes.
Il y a un autre point qui me paraît important, c’est finalement que la scolarité semble n’avoir laissé aucune trace. Quand on lit le livre, il n’y a quasiment aucune anecdote sur ce que vous avez vécu dans le système scolaire, hormis l’ostracisme envers les pensionnaires du CREPS que Rémi dénonce. En lisant le livre, on en vient presque à se demander si vous êtes vraiment allés en cours.
(Il rit) Ah ah, j’adore…
Ecoute, dans mes souvenirs et dans ce que j’en ai retranscrit dans le livre, c’est vrai que c’est très anecdotique. On était en classe tous les jours, hein… Mais c’est vrai qu’il n’en ressort pas grand-chose dans le bouquin.
Après il est vrai que j’ai décidé de faire un focus sur l’aspect foot. Mais l’école, ça faisait partie du centre de formation. Mais c’est pas le plus important à ce moment-là pour moi. Il faut dire quand même que, pour le coup, dans le cas de Rémi, là il y a quelque chose à en dire par rapport à ce qu’il vit en préformation au CREPS.
C’est une aberration. C’est hallucinant de voir à quel point l’institution scolaire, au même titre que le CREPS qui gère cette préformation du reste, est totalement défaillante et violente les élèves. Les jeunes qui sont en préformation de football sont traités comme une sous-catégorie d’enfants. Ils sont harcelés par les autres élèves. Mais aussi par les profs qui disent sans arrêt « Les CREPS, les CREPS… ». Donc même des gamins qui arrivent avec de la bonne volonté finissent par lâcher et à devenir les mauvaises personnes qu’on les accuse d’être.
Et ce alors que, potentiellement, ils ne sont qu’en préformation. Donc encore moins assurés de réussir que s’ils étaient déjà en centre de formation. Et donc bien plus susceptible d’avoir besoin d’une scolarité pour s’insérer sur le marché du travail.
C’est tout à fait ça.
Pour reprendre le cas de Rémi, c’était un excellent élève jusqu’à douze ans. Il faisait du latin en classe… Il entre au CREPS, deux ans de préformation et quand on se rencontre au centre de formation de Montpellier, il est devenu nul à l’école. C’est lui-même qui le dit. Donc on voit les méfaits du système scolaire sur ces publics-là.
Donc, je fais des focus sur le centre de formation ou le CREPS où est passé Rémi, mais c’est un système global qui est défaillant.
D’ailleurs, sur le plan éducatif et culturel, tu racontes que quand tu lis 1984 et Le meilleur des mondes, on te regarde un peu comme une bête curieuse.
C’est très bizarre. Parce qu’avant d’arriver au centre de formation, j’étais surtout porté sur la culture foot. Des parents originaires du Gers issus d’une famille de paysans qui arrivent en région parisienne pour travailler dans un golf. Donc on est plutôt dans un milieu bourgeois dont on n’a pas forcément les codes. Mais moi au collège, comme je joue au foot, je fréquente surtout des amis issus de milieux populaires, même s’il y avait quelques enfants de riches aussi.
Mais un an ou deux avant le centre de formation, je tombe amoureux d’une fille qui est plutôt de culture bourgeoise, lit des livres, fait de la peinture, écoute de la musique… Alors que moi, je jouais au foot et mes seules lectures, c’était France Football et Onze mondial. Et c’est une culture à part entière aussi d’ailleurs.
Et puis, quelques mois avant mon départ pour Montpellier, il y a eu le premier Loft Story. Et avec un pote de collège, on trouvait que c’était de la merde et on fait des tracts pour dire ce qu’on en pensait. Et ma tante, qui elle était une féministe anarchiste, nous voit en train de rédiger le tract, et nous aide à l’écrire.
Elle habitait en Catalogne, et après mon arrivée à Montpellier, nous avons joué un match amical à Perpignan. Et ma tante en profite pour m’offrir ces deux livres. Je pense que le choix des livres n’était pas anodin. Même si sur le moment, je ne vois pas le lien avec ce que je vis au centre de formation.
D’ailleurs j’arrive aussi avec ma guitare et mon djembé au centre de formation. Même si le djembé, je ne savais pas en jouer. Mais ce côté ovni culturel, ce n’était pas moqué par mes camarades et mes entraîneurs. Je le vivais plutôt bien.
Tu dis que passé quelques mois, vous étiez quelques-uns à être écœurés du foot au centre de formation et à voir ça plus comme un métier ou une opportunité professionnelle que comme leur passion. Dans le livre Deux pieds sur terre, Basile de Bure raconte d’ailleurs qu’un des joueurs envisage sérieusement d’arrêter le foot s’il n’est pas pris en centre de formation. Toi-même tu racontes dans le livre que tu as clairement coupé les ponts avec le foot quand tu as quitté le centre de formation.
Il y a plusieurs explications. Dès qu’on rentre, on est considérés comme un investissement. D’ailleurs, ils nous le disent « On vous paie, donc faut se tenir.» Il y a aussi l’isolement les méthodes d’entraînement qui nous rendent tristes. Quand tu compares les méthodes de Pépé et celles de mes entraîneurs au centre, il y a un gouffre. Je me disais souvent que je trouvais ça nul. Mais parce que ce sont des méthodes qui manquent de créativité, aussi.
Et c’est intéressant de poser cela dans le cadre plus large de la société capitaliste. On a l’impression que, sous prétexte qu’ils ont investi et qu’il y a un objectif de réussite, alors la notion de plaisir ne doit plus exister. Alors qu’en prenant du plaisir, on peut parfois mieux jouer, finalement. Il y a un aspect très proche du service militaire dans l’approche.
Ton analyse recoupe celle de l’historien François Da Rocha Carneiro, auteur de La France et son football, une histoire sociale, où il compare les centres de formation au service militaire et qui nous disait ceci en interview : « Dans un centre de formation, on est « au service ». On sert l’équipe, le club, l’image du club… Et pas uniquement dans les centres de formation. Lorsqu’un joueur devient pro, il doit tous ses services au club. A ses financeurs, à ses supporters. Il y a quelque chose du service permanent. On les voit comme des esclaves dorés. Mais cela reste des esclaves. Ou du moins des employés sous domination. »
Totalement. C’est très intéressant. Parce que tu vois les méthodes du service militaire et celles des entraîneurs, il y a énormément de similitudes. Menaces, micro-agressions, chantages, humiliations. Le cliché du service militaire, quoi.
Et ce côté de dû permanent est intéressant aussi. Il y a par exemple des cas en centres de formation où des gamins sont privés de vacances s’ils font des conneries. On en arrive à presque expliquer que des gamins qui rentrent en centre de formation ont des droits en moins.
Quand on arrive au centre de formation, la première année, l’UNFP (Union Nationale des footballeurs professionnels, le syndicat des joueurs, ndlr) vient nous voir. Mais l’UNFP ne nous défend pas. D’ailleurs on peut noter le côté hallucinant du football professionnel où il existe un seul syndicat. Et on se trouve dans une situation où les gamins se sentent redevables en permanence alors que le club a aussi des obligations stipulées par contrat signé. Un gamin qui rentre en centre de formation n’est pas vraiment en formation. C’est déjà un travailleur. Il y aurait donc un intérêt à réfléchir à la façon de s’opposer aux clubs, à se fédérer entre joueurs, ne pas accepter n’importe quoi. Parce que les clubs ont des obligations aussi.
Une scène du livre qui illustre bien cela, c’est la première selon moi. On nous avait dit que les équipements et les crampons seraient fournis. Donc le premier jour, j’arrive les mains vides. Alors que justement, j’adorais mes crampons et que je ne les avais pas pris volontairement par respect pour l’institution. Et l’entraîneur me dit : « Tu crois que tout va te tomber dans la bouche ? Ben tu t’entraînes en baskets. » Agressivité, humiliation… Alors qu’ils sont contractuellement tenus de me les fournir. Mais eux retournent le truc en me disant que c’est de ma faute.
Une autre scène illustre d’ailleurs très bien cet état de fait, c’est le moment où tu annonces ton départ. Et un entraîneur qui apprend la nouvelle te propose de te payer des cours de guitare pour te détendre ou de te trouver un logement où tu te sentirais mieux. Comme si le club ne se souciait de ton bien-être qu’à partir du moment où il risque de te perdre.
C’est intéressant de le voir sous cet angle. Parce qu’on constate que si on demande et qu’on lutte, on peut obtenir des aménagements. Mais on n’ose pas.
Le problème, c’est que quand l’entraîneur me dit ça, ça fait des mois que j’ai décidé de partir. Mes parents sont là. Mais sa proposition, je le dis dans le livre, c’est une belle proposition.
On peut se poser la question de savoir s’il ne serait pas pertinent pour les centres de formation d’embaucher une personne, pas forcément un psychologue, mais qui serait chargée de l’écoute des jeunes et d’essayer de mettre en place des choses pour améliorer leur bien-être. Ce qui les rendrait sans doute plus performants, au final.
J’en suis persuadé, oui. Je crois que c’est mis en place par certains centres de formation aujourd’hui, des cellules psychologiques. Rémi fait aussi une remarque pertinente, c’est que les jeunes n’osent souvent pas se confier aux psychologues des clubs. Parce qu’ils ont peur que leurs propos soient communiqués à l’encadrement et ne se retournent contre eux.
Je pense c’est important de pousser les centres de formation à se réformer de l’intérieur. Mais il est important aussi que les familles des jeunes continuent de prendre leur charge d’éducation et d’écouter les enfants. Quitte, pour celles qui en ont les moyens, à prendre un psychologue à part en plus de celui du club. Mais les parents ne doivent pas faire de confiance aveugle à l’institution et ne pas hésiter à l’affronter si ça ne va pas.
Après, tu ne penses pas qu’il y cette peur de la sanction et de se faire écarter qui les pousse au silence ? Un peu comme dans le monde de l’entreprise où certains salariés précaires n’osent pas se plaindre par peur du chômage.
Complètement. De toutes façons, dans le milieu du foot, il y a une infantilisation du joueur. Que ce soit dans les centres de formations comme dans le milieu professionnel. Mais ça témoigne d’une chose, c’est qu’il y a une omerta liée à la peur de perdre sa place. Et pas seulement dans le foot. J’ai récemment entendu parler de cas dans le basket où des mères voient les pratiques des entraîneurs. Et si les parents interviennent pour le faire remarquer, le gamin est remplaçant le match suivant. Donc les gamins ou les parents n’osent plus le dire.
*Anciens pensionnaires du centre de formation de Montpellier en même temps que Mathieu Tulissi Gabard qui ont témoigné dans le livre.
Propos recueillis par Didier Guibelin