A l’occasion de la sortie de leur livre Une histoire populaire du PSG – 1970-2020 : 50 ans de passion, Livres de Foot a rencontré Jean-Baptiste Guégan de Paris United. Voici son interview.
L’INTERVIEW
LDF : Moi qui ne connaissais pas l’histoire du PSG, j’ai appris que le club avait été créé à la suite d’un référendum. Et le premier nom qui est ressorti, c’est le Paris Football Club… Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Jean-Baptiste Guégan : Initialement, le projet qui a amené à la création du PSG est un projet qui vient de la Ligue. Il y avait un désert footballistique à Paris, il n’y a plus de club de haut niveau à Paris à la fin des années soixante, et donc la totalité des acteurs du foot français a besoin d’une locomotive à Paris et met en place un projet. Ils sollicitent par référendum, sur conseil de Bernabeu, les Français qui le désirent. Ressort la nécessité d’un club qui répondrait au nom de Paris Football Club. Une fois que l’assentiment est là, que Bellemare a fait son appel et que l’on a fait une souscription pour lancer le club, il faut que ce club puisse monter en D2. Il faut donc s’associer à un club de cette division. D’où le changement de nom : le Paris Football Club en s’associant au club de Saint-Germain doit changer de nom. Il devient le Paris Saint-Germain. C’est la rencontre entre les deux qui a créé le club. Là où l’histoire est typique de l’ADN du PSG, c’est que l’année suivante, quand le club est en première division, la mairie de Paris, parce que ses intérêts divergent, veut qu’il y ait une rupture avec Saint-Germain et que le club redevienne le Paris FC. Au terme de la saison qui les laisse obtenir leur place en première division, on voit le club se séparer en deux. C’est la fameuse « Nuit du Méridien ». Le Paris FC reste en division 1 avec l’effectif professionnel et le PSG redescend en D3. Ils ont réussi à garder le nom du club, pour trois voix qui empêchent la disparition pure et simple du club. On se retrouve avec le PSG qui n’a plus de joueurs professionnels. Jean Djorkaeff, qui a été notre premier capitaine, doit aller jouer pour le PFC, à contrecœur. On retrouve tout l’ADN du PSG dès ses débuts : l’extrême difficulté d’exister à Paris quand on est un club de foot, sa dimension politique et plus encore, sa propension au drame. C’est un club qui a failli disparaître à peine né.
Tu as cité Bernabeu, le président historique du Real Madrid, Pierre Bellemare… Qu’est-ce qui attire à la base : le fait de vouloir un club de football à Paris, ou la ville de Paris en elle-même ?
Aujourd’hui, on dirait que ce qui attire est la ville. La réalité, c’est que ce sont d’abord des gens en manque de foot à Paris depuis de nombreuses années qui explique la naissance du club. En clair, il y a un public et un marché à prendre. A fortiori dans une capitale. Pour avoir en interview dans le livre des supporteurs qui ont maintenant près de 70 ans, voire un peu plus, ils te le disent : « On ne pouvait pas voir de foot de haut niveau à Paris, il fallait sortir de Paris. » Il y avait le Red Star, mais ce n’est pas un club parisien, et il fallait donc aller en région. C’est la concomitance entre le fait que tu n’aies pas de club de football en D1, la nécessité d’avoir une locomotive dans la capitale – c’est le seul pays où tu n’as pas de club venant de la capitale en Division 1 à ce moment-là -, et la passion populaire qui ont amené à cet engouement médiatique, politique et institutionnel. Finalement, le PSG vient à la fois de la base, d’où le nom du livre, et d’en haut.
On a l’impression aujourd’hui (j’insiste sur ce terme) qu’on demande de plus en plus de supporter le club de sa région… Est-ce que Paris essaie de retrouver ses supporteurs ?
Pour avoir un club de foot, il faut avoir une vraie identité locale. Les supporteurs du PSG, en se globalisant, notamment avec l’arrivée de QSI, ont eu l’impression que ce n’était plus le même club, qu’il y avait une rupture – c’étaient les mêmes couleurs, le même stade, il y a une continuité institutionnelle, mais c’était différent. Cette rupture a pu être perçue, c’est-à-dire que le club a changé d’un coup d’envergure. Il y a eu une sorte de coupure avec le public local, d’abord car les supporteurs ne se retrouvaient plus forcément dans le club, mais aussi parce que les ultras n’ont pas tous pu ou voulu revenir du fait du plan Leproux et de ses conséquences. Il y a donc eu un rejet du Qatar par rapport à ça et par rapport au projet mis en place que résume bien l’expression : Dream Bigger. On a vu les tribunes s’internationaliser et les prix des places changer inévitablement. La dimension populaire a changé.
Depuis deux ans, le club est en train de retourner vers sa base, de remettre en avant les figures historiques du club… et d’honorer ses grands noms de Dahleb à Cavani. Il y a une volonté de retrouver cette histoire. Il y a une logique institutionnelle.
Mais c’est aussi dans une perspective de business, c’est ce qu’on appelle le « business de la nostalgie sportive » ; ça permet de vendre du maillot et de créer de l’adhésion. Si le club est déraciné, vous devenez Manchester et la moitié de vos tribunes sont vendues à des Tour Operator.
L’intelligence de QSI est d’avoir compris que ce n’était pas possible, et qu’il fallait une identité parisienne à mettre en avant. D’où la valorisation de certains acteurs comme Kimpembe ou l’idée de toujours avoir dans l’équipe un ou deux Titis. Les règles UEFA de joueurs formés au club sont en cela favorable à ce qui fait l’ADN parisienne et banlieusarde du club. Maintenant, il y a des logiques de marché qui existent et elles remettent en cause les raisons d’être du centre de formation. Quand, pour équilibrer le FPF, tu es obligé de vendre tes jeunes et de rentrer dans cette logique-là, c’est compliqué de toujours concilier performance sportive et économique, formation et progression des jeunes…
Tu me parles des tribunes – c’est un point qui est très important dans le livre : est-ce que tu n’as pas la nostalgie des tribunes des années 1990 ?
Quand j’allais au Parc, il y avait une ambiance incroyable des deux côtés : Auteuil et Boulogne. Cette ambiance pouvait parfois être pesante, à tel point que dans les années 2000, il y a eu un « syndrome du Parc ». Les joueurs qui n’étaient pas faits pour ce club étaient écrasés par la pression. Tu as le même phénomène à Marseille. Aujourd’hui, il y a un peu moins d’ambiance, c’est vrai. Elle a changé plus exactement. Elle revient même si c’est plus feutré. C’est typique de tous les stades de Première Division en Europe. La premiumisation des tribunes a changé ça, on peut encore le regretter. Il y avait effectivement cette ambiance de folie, peut-être l’une des plus belles d’Europe. Problème : cette ambiance-là a aussi eu des conséquences assez graves, avec des dérives politiques, des affrontements à l’intérieur même des groupes, entre les groupes. La multitude de tensions et d’événements dramatiques aurait donc nécessité une reprise en main, elle n’a pas eu lieu. Ça s’est terminé par deux morts en quelques années. Le club a alors été mis en situation de disparaître, et le plan Leproux mis en place. On peut le regretter malgré tout car il a été extrêmement radical pour régler un problème qui était plus fin et complexe. Pour autant, à force de ne pouvoir prévenir, il faut guérir. Et la solution a été expéditive.
La pression politique était telle à ce moment-là que même au plus haut niveau de l’État, on demandait la disparition du club. Donc, oui je regrette l’ambiance festive, moins celles des soirées pesantes. Heureusement, les choses changent, l’ambiance revient. Le CUP fait un travail incroyable. On voit une tribune qui commence à renaître à Boulogne, il y a une jeune génération qui prend le flambeau. Plus la culture club sera entretenue, mieux ce sera.
Ceci étant, le club en tant qu’acteur du sport-spectacle reste tiraillé entre remplir au maximum et respecter la culture Ultra.
On a parlé de l’histoire du club, je voudrais parler de choses plus personnelles… Quel est ton meilleur souvenir avec le PSG ? Et, s’il y a un meilleur, il y a un pire : lequel est-ce ?
J’aurais envie de te dire que le pire souvenir récent, c’est la Remontada, mais ce n’est pas forcément ça. Il y a l’élimination contre Manchester où tu te dis : « c’est toujours la même chose avec ce club… » On est marqué par la fatalité. J’ai un autre très mauvais souvenir des matchs contre la Juventus, en Supercoupe, où on se fait laminer. Ça a été dur, car derrière, ça a été six mois de chambrage. Il y a également le match contre La Corogne, où on mène 3-0 à la 60e et où on perd 4-3.
Le meilleur souvenir reste quand même la finale à Bruxelles où on gagne une Coupe d’Europe. On est aussi confronté à d’autres performances historiques, comme le 4-0 à l’aller contre le Barça. Je suis alors sur mon canapé en train de me dire : « Ce n’est pas possible. Ce n’est pas mon club. » À ce moment-là, je n’y crois pas. Je reste interdit tellement la prestation est incroyable. Après, le retour balaie ce souvenir…
Sinon, il y a les larmes de Rai. Ce n’est pas un bon souvenir, mais c’est l’un des moments les plus marquants pour moi. Quelque chose se fracture. J’ai souffert avec Rai, j’ai aimé Rai. Et aujourd’hui, on n’a pas retrouvé de joueur avec le charisme, l’intelligence, le talent de Rai. Cavani et Pauleta sont dans cette lignée.
Rai est pour moi au-dessus, il a une histoire personnelle folle : c’est le frère de Socratès, il a été champion du monde en finissant sur le banc, son premier geste technique au Parc est une ouverture de 30 mètres avec un coup du foulard… Tu tentes ce genre de geste, tu te brises la jambe.
D’ailleurs, y a pas un petit manque à haut niveau, d’avoir un derby parisien ?
Clairement si. J’attends qu’une chose, c’est que le Paris FC, le Red Star ou n’importe quel club parisien puisse créer une dynamique, que l’on puisse retrouver une ambiance de derby que Paris n’a jamais vraiment connu. Jamais deux clubs ne se sont retrouvés au même moment en Première Division en situation sportive favorable.
Y a eu le Matra à une époque…
Oui, mais le Matra n’a jamais performé. Quand je vois les matchs de la Roma face à la Lazio, le derby des deux Manchester, ou même les oppositions entre Lyon et Saint-Étienne, tu as envie de ça. Pour l’ambiance, la folie, le côté folklorique… Et puis l’enjeu sportif : la domination régionale. Ça renforce l’image du club de Paris, ça le sortirait de son image de citadelle et l’humaniserait encore davantage.