Pour la sortie du livre Guide juridique à l’usage du supporter, LDF a recueilli les propos de Baptist Agostini-Croce, l’auteur de livre, avocat dans la vie de tous les jours
D’où part l’idée de ce guide ? Vous trouvez qu’il y a un manque de culture juridique chez les supporters devant possiblement faire face à une répression accrue ?
La démarche vient déjà d’une première étape avant l’écriture du livre. Il y a environ un an et demi, j’ai créé une association, le Cercle de réflexion sur le droit pénal sportif, avec ma consœur Louise Kontogiannis. J’avais le souhait d’étudier la place de la matière pénale dans le sport. Je m’étais aperçu que le droit pénal dans le sport était un sujet assez peu traité. Il y avait bien un ouvrage sorti sur le sujet, mais datant de plus de dix ans. La première étape fût donc de lister l’ensemble des infractions que l’on pouvait trouver au sein du mouvement sportif. Le constat est assez simple : la grande majorité des infractions au sein du sport demeurent des infractions que l’on peut reprocher aux supporters. Le supportérisme est une cause qui m’est chère et comme le sujet était également d’actualité, j’ai voulu aller plus loin. Au-delà de seulement lister les infractions qui pouvaient être reprochées aux supporters, j’ai trouvé intéressant de recenser l’ensemble des dispositions qui s’appliquent à eux au sein d’un guide. Après tout, il existe des guides juridiques pour le cycliste ou pour le piéton, donc pourquoi pas pour les supporters. D’autant qu’au-delà des supporters eux-mêmes, je pense que c’est une démarche qui peut toucher quiconque à un intérêt pour ces problématiques.
On parle souvent d’un déni de droit vis-à-vis des supporters de football. Avec des dispositifs sécuritaires impensables dans d’autres domaines comme cette histoire de supporters de Nantes interdits de fréquenter leur propre centre-ville. Pensez-vous que parler de déni de droit soit un constat pertinent ?
Vous me parlez d’un cas que je connais bien, puisque je supporte le Sporting Club de Bastia et que cet arrêté avait été publié lors d’un match Nantes-Bastia en coupe de France. Et en effet, il y a bien eu un arrêté préfectoral interdisant aux supporters nantais de circuler dans le centre de Nantes, ce qui est quand même assez aberrant, pour ne pas dire ridicule.
Le vrai problème vient du fait qu’il y a une sorte de double répression. D’un côté on a des mesures « administratives », qui sont préventives, donc prises avant la commission d’infractions, notamment les fameuses interdictions de déplacements. Et d’un autre côté, vous avez des sanctions disciplinaires prises après les faits qui sont aussi collectives comme les fermetures de tribunes ou les matchs à huis-clos. Le vrai problème selon moi, c’est cette répression permanente de la collectivité. J’exerce principalement en matière pénale et un des principes fondamentaux est que nul n’est responsable que de son propre fait. Ce principe devrait être appliqué en l’espèce. Ces mesures et sanctions collectives qui touchent ceux qui n’y sont pour rien provoquent logiquement de l’incompréhension et beaucoup de frustration.
L’immense majorité de ces interdictions de déplacements sont des interdictions administratives infligées non pas par la justice, mais par les préfectures sous des prétextes parfois lunaires comme l’organisation d’une compétition de cerf-volants dans une ville voisine. Ne devrait-on pas cadrer le domaine dans lequel ces interdictions sont prononcées ?
Vous touchez du doigt le problème principal. En novembre 2019 a été publiée une circulaire du ministère de l’intérieur invitant les préfectures à ne pas utiliser à outrance les interdictions de déplacements. Depuis novembre 2019, on ne trouve quasiment aucun weekend sans au moins une interdiction de déplacement. Le problème n’est pas tant d’effectuer une modification législative ou réglementaire. Le vrai problème est dans l’utilisation de cet outil. Que l’on prononce des interdictions de déplacement dans des cas extrêmes, quand il existe un vrai risque de trouble à l’ordre public, pourquoi pas. Le problème, c’est qu’on utilise cette arme tous les weekends avec des justifications douteuses et même parfois illégales conduisant à des annulations prononcées in fine par le juge administratif. Sans compter que prendre ce type de mesures tous les weekends, ça impacte leur légitimité. Qu’est-ce que se dit la communauté des supporters avec ce genre de décisions tous les weekends ? Des arrêtés sont parfois justifiés par l’historique qui existe entre deux clubs. Mais, parfois, ils sont justifiés par des histoires qui n’ont aucun sens : en 2014, on interdit par exemple aux lensois de se rendre à Bastia sous prétexte d’un contentieux datant de 1972 ! Pour revenir à votre question, je pense que la problématique n’est pas dans la loi et dans cet outil mis à disposition des autorités administratives, mais dans l’usage qui en est fait.
On sait qu’il existe une instance nationale du supportérisme, mais qu’elle demeure très sous utilisée. L’UEFA impose par ailleurs aux clubs d’avoir des officiers de liaison supporters. Ne pensez-vous pas que le rôle de cette instance et des officiers de liaison pourrait être un peu plus formalisé par la loi pour être rendu plus efficace ?
La leçon que je tire de mes réflexions pour écrire ce livre, c’est qu’il y a deux solutions à mettre en place conjointement. La première c’est l’individualisation des mesures. On ne doit pas prendre de mesures préventives ou sanctionner systématiquement la collectivité. L’autre solution importante, c’est le dialogue. On ne pourra pas avancer intelligemment sur ces sujets sans travailler en collaboration étroite avec les représentants des supporters. Parce que mettre délibérément sur le côté les représentants des supporters, c’est passer à côté de toutes les aspirations du supportérisme et regarder les faits par un prisme parfois erroné. Comme certaines autorités qui mettent sur le même plan les ultras et les hooligans, par exemple, ou considérer quasi systématiquement le supporter visiteur comme un violent potentiel. Certaines autorités manquent très certainement de culture du supportérisme. Le fiasco de la dernière finale de ligue des champions est un exemple très parlant à ce sujet.
Le 21 octobre dernier, l’Instance Nationale du supportérisme s’est réunie pour sa 10e séance plénière dans un nouveau format qui s’inspire du rapport Buffet-Houlié rendu en 2020, c’est une bonne chose. A la suite de cette séance, la création d’un guide juridique pratique à destination des supporters a été décidée, le lendemain de la publication du guide pour lequel vous m’interrogez. Comme quoi, nous tendons tous vers la même chose, non ? S’ils ont besoin, je peux me rendre disponible (rires).
Vous parlez du fiasco du stade de France qui s’est déroulé lors d’une finale de coupe d’Europe. On voit quand même que c’est un problème très français parce que la gestion des supporters se passe très bien dans d’autres pays. Ne serait-il pas envisageable de voir la création d’une législation européenne sur ce sujet qui obligerait la France à se mettre à niveau ?
Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout problème nécessite un indispensable besoin de légiférer, à quelque niveau que ce soit. Une meilleure utilisation des outils à disposition des autorités administratives, judiciaires et disciplinaires serait d’ores et déjà extrêmement bénéfique. Encore une fois, comprendre que la collectivité n’a pas à payer pour des faits commis par quelques-uns est en grande partie source de solutions. Continuer vers le tout-répressif est une indiscutable source de tensions, d’incompréhension, de sentiments d’injustice et de volonté de rébellion aussi. Le problème n’est pas nécessairement dans les prérogatives accordées aux diverses autorités, il est dans leur application concrète.
Propos recueillis par Didier Guibelin