A l’occasion de la sortie de son livre Deux pieds sur terre, Livres de Foot a rencontré Basile de Bure. Voici son interview.
L’INTERVIEW
Tu commences le livre en racontant un peu ton adolescence et tes rêves déçus de carrière dans le foot. On a l’impression que tu voudrais dire en préambule que non, cela n’a rien de facile de devenir footballeur pro.
Exactement. Si j’ai commencé par raconter d’abord mon histoire, c’est pour deux raisons. La première, c’est pour raconter que devenir footballeur pro c’était aussi mon rêve quand j’avais leur âge, comme celui de beaucoup de gamins aussi d’ailleurs. Et que si j’avais eu envie de faire cette enquête, c’est en partie pour ça. Vivre mon rêve un peu par procuration, me replonger là dedans et voir au plus haut niveau ce qu’il se serait passé pour moi si j’avais persévéré et percé au plus haut niveau.
Et la deuxième raison qui m’a poussé à raconter mon histoire, c’est pour raconter aussi un peu d’où je viens. Expliquer ce qu’est mon milieu social d’origine et comment le foot y est perçu. Dans cette enquête, il y a aussi un regard un peu sociologique. J’essaie de parler, au-delà du foot, de ce qu’est la banlieue, de ce que c’est d’y être ado aujourd’hui, de casser pas mal d’idées reçues sur ces jeunes… Et pour ça, il me paraissait important de commencer par dire d’où je parlais, qui j’étais et le regard que j’allais porter sur ça.
En parlant de cliché sur les jeunes footballeurs de banlieue, il y en a un que tu brises dans ce livre, c’est celui de gamins issus d’une misère sociale totale et sur lesquels les parents auraient tout misé pour en faire des machines à pognon.
Oui, absolument. C’est quelque chose que j’ai beaucoup entendu avant de commencer mon enquête quand j’en parlais. Il y a cette image tenace qui veut que dès qu’un gamin a un peu de talent, toute la famille lui met la pression, il est vu comme une poule aux œufs d’or, avec des gens qui tournent autour en espérant en profiter… L’exemple le plus célèbre, c’est Hatem Ben Arfa et la façon dont il incarne dans l’opinion toutes les dérives autour de ces gamins footballeurs prodiges dont tout le monde veut tirer profit. Et cet exemple a ancré une idée reçue dans la tête des gens.
Moi je n’ai pas vu ça. Je n’ai pas vu de parents mettant une pression excessive aux gamins. Les deux seuls pères que j’ai vraiment vus souvent aux matchs sont celui d’Emin(1) et celui de Mohamed(1) avec lequel j’ai pu d’ailleurs avoir une grande discussion à la fin de la saison où il m’a raconté sa vie pour que je comprenne mieux son fils.
Après, il y a des parents qui sont présents dans le livre sans être présents physiquement parce que les garçons m’en parlaient et que je leur demandais beaucoup comment les familles voyaient tout ça. Et la plupart me disaient la même chose, à savoir que les parents étaient surtout prudents. Qu’ils savaient que c’était très difficile de devenir pro et donc qu’ils restaient attentifs aux résultats scolaires. Parce que même un gamin surdoué qui est en équipe de France de sa catégorie peut très bien se blesser, par exemple. Et donc cette image du parent qui met la pression, je ne l’ai pas beaucoup vue.
Après, l’envie de s’en sortir professionnellement par le foot est évidemment très présente. Les gamins ont conscience que le foot peut être un ascenseur social, surtout dans ce genre de quartiers où on ne peut pas toujours miser sur les études. Donc au fond, le foot y est juste perçu comme une filière professionnelle comme une autre.
J’avais eu une discussion intéressante à ce sujet avec le père d’un des garçons. Il me disait que si son fils pouvait gagner deux ou trois mille euros par mois en ligue 2 ou en national, cela lui convenait parfaitement. À partir du moment où son fils gagnait sa vie honnêtement, ça lui allait. Il n’avait pas d’ambition démesurée de voir son gamin dans un top club européen et gagner des millions. Si le foot pouvait lui permettre de simplement se faire une place convenable dans la société, c’était déjà bien.
Ton livre se positionne sur la réalité du quotidien de ces jeunes joueurs, au-delà des fantasmes. En ce sens, tu es à mi-chemin entre le documentaire À la Clairefontaine pour la thématique et le livre Des footballeurs au travail de Frédéric Rasera pour la méthodologie, même si tu es journaliste et pas sociologue. Tu le vois comme ça ?
Déjà, je prends tes références comme des compliments. Parce que, que ce soit le livre de Rasera ou À la Clairefontaine, ce sont des références que j’ai étudiées.
Quand j’ai commencé cette enquête, je me suis aperçu que ça allait avoir une dimension sociologique. Certes, le livre a une forme un peu hybride où je parle de moi, je fais partie de l’histoire et a donc cette forme qu’on appelle la narrative non fiction. Mais passer un an avec des jeunes, étudier leur façon de vivre… C’est un peu une démarche sociologique quelque part. Même si je ne suis évidemment pas sociologue. Donc pour comprendre ce que je voyais, j’ai beaucoup lu de travaux de sociologie. Notamment le livre de Rasera auquel tu fais référence, mais aussi Cyril Nazareth qui a travaillé sur le football dans les quartiers. J’ai aussi lu Fabien Truong qui a travaillé sur les quartiers. Certes, plus sur le problème de la radicalisation qui est assez loin de mon sujet à moi mais c’était bien d’avoir une vision globale de la jeunesse de banlieue avant de commencer. Surtout que, là aussi, j’ai entendu beaucoup d’idées reçues sur le problème de la religion chez ces jeunes. On m’avait dit que l’Islam était partout, même dans les clubs de foot… Ben non, j’ai surtout vu des jeunes passionnés avant tout par le foot.
Donc oui, pour revenir à ta question initiale, le livre de Rasera fait partie de mes références.
À la Clairefontaine, il commence à dater un peu mais c’est intéressant aussi. De même qu’un autre documentaire nommé L’académie du foot sur le centre de formation de Nantes réalisé à l’époque ou Dimitri Payet y était pensionnaire. Mais c’est justement pour ça que ça m’intéressait de faire un travail allant dans le même sens, mais sous forme de livre.
Un autre aspect sur lequel tu insistes dans le livre, c’est le fait que malgré que certains soient arrivés récemment dans cette pépinière à champions qu’est le Red Star, l’équipe est avant tout une super bande de potes. Et même la concurrence pour intégrer les centres de formation ne se met pas en travers de ça.
Ça fait vraiment partie des choses qui m’ont marqué et touché dans cette histoire. Après, je nuancerais sur le fait que beaucoup soient arrivés récemment. La plupart sont arrivés vers neuf ou dix ans. L’évènement fondateur de cette équipe, c’est en U11, ils gagnent la coupe de Seine Saint Denis avec la finale au Stade de France face à Aubervilliers. Et sur cette équipe U11, tu en retrouves encore sept en U15 la saison où je fais le bouquin. Ce qui est assez voire très rare à ce niveau de compétition où la concurrence est quand même sévère. Dans ces catégories élite en île de France, tu as des joueurs qui, à quinze ans, ont déjà changé quatre fois de club. Parce qu’ils essaient d’aller dans le club du plus haut niveau possible, puis certains bougent parfois suite à une brouille avec l’entraîneur… Sans compter que les clubs se piquent aussi les joueurs entre eux avec un côté business. Et donc avoir cette solidarité, cette stabilité et cette amitié dans une équipe, c’est vraiment spécifique au Red Star. Et c’est très touchant à voir. Parce que chaque fois que l’un d’entre eux est accepté en centre de formation, tous sont vraiment heureux pour lui, même ceux qui n’ont pas encore réussi. Et tous me disaient: « C’est la réussite et le travail de tout le monde. » Et ça transparaît même sur le terrain. Parce que dans ceux qui ont obtenu des contrats en centre de formation, certains n’étaient pas les plus doués mais ont été valorisés par le collectif.
Tu racontes aussi qu’au début, ils se méfient un peu de toi. Ils hésitent à se confier, puis finalement finissent par s’ouvrir à toi avec le temps. Comme s’il avait fallu qu’ils s’habituent à ta présence.
Anecdote assez marrante, au début, ils m’ont pris pour un recruteur. Ils venaient tous me saluer poliment à chaque entraînement, et j’étais moi-même un peu surpris de leur attitude. Jusqu’à ce qu’ils m’avouent qu’ils me prenaient pour un recruteur. Avec en gros, le côté « On est polis, on va pas le froisser. »
Après, concernant leur difficulté à se livrer il y a deux aspects. Le premier, c’est qu’il y a forcément une certaine timidité à se livrer à un adulte qu’on ne connaît pas quand on a quatorze ans.
Le deuxième aspect, qui est surtout valable pour les surdoués de l’équipe comme Sean(1) ou Al Amin(1), c’est le fait que depuis qu’ils ont dix-onze ans, il y a des gens qui viennent les aborder. Des agents, des recruteurs, pour leur demander les coordonnées des parents ou essayer de tirer profit de leur talent d’une manière ou d’une autre. Donc ils sont prudents et ont appris à se méfier des adultes qu’ils ne connaissent pas.
Je savais que j’allais avoir besoin d’un peu de temps pour gagner leur confiance. Donc j’ai beaucoup observé. Je leur ai présenté mon projet. J’ai fait de petits entretiens individuels avec chacun.
Surtout, il y a eu un déclic important qui est le déplacement à Saint-Étienne. Régulièrement, des clubs pros les invitaient pour des matchs amicaux. Donc il y a un grand départ à la gare, un côté un peu colonie de vacances, même si l’objectif était de gagner et de briller. Et là, ils ont vraiment senti que je faisais partie du groupe. Que je ne me contentais pas de venir les observer à Bauer. Et Nadir(1) a aussi été très important. À Saint-Étienne, justement, il a commencé à s’ouvrir. On a beaucoup parlé ce jour-là. Et surtout, j’ai senti qu’il voulait me parler. Et pas que de foot. Mais aussi de tout ce qu’il vivait autour du foot, de ses rapports avec le reste de l’équipe, des exigences de l’entraîneur… Et comme Nadir est un des plus anciens et une des fortes personnalités de l’équipe, notre complicité m’a permis de me rapprocher de tout le monde. À la fin, tous m’ont dit « Tu fais partie de la famille » et c’est une des choses qui me touchent le plus, d’ailleurs.
Là où on voit que ce sont vraiment des gamins de leur époque, c’est l’importance qu’ils portent à leur image sur les réseaux sociaux.
Ah carrément, ils sont à fond, ça me faisait beaucoup rire. Alors ils n’avaient pas encore tous un smartphone l’année où j’étais là. Mais ceux qui en avaient un sont tous sur Snapchat et Instagram. J’adore d’ailleurs parce que ça me permet de continuer à les suivre. Ils se mettent énormément en scène.
J’ai découvert qu’il y aussi des codes sur les réseaux sociaux spécifiques aux petits footballeurs doués comme eux, qui sont utilisés un peu partout en France. Poster la vidéo du cri de la victoire après un match. Poster la photo de son maillot retourné sur le sol numéro visible avec les crampons à côté. Poster le nombre de buts qu’on marque ou les photos de ses coéquipiers.
En plus, certains avaient déjà des contrats d’équipementiers. Donc quand ils recevaient une paire de crampons de leur sponsor, ils étaient obligés de poster une photo avec.
C’est aussi un grand outil de solidarité entre eux. Si un membre de l’équipe poste une vidéo d’un triplé qu’il a mis avec son centre de formation, tous les anciens de l’équipe vont la partager. Chaque fois que l’un d’entre eux signait, tous les autres postaient sa photo avec le maillot du club où il avait signé.
Ce qui est d’ailleurs impressionnant, c’est qu’avec les réseaux sociaux et la chaîne que ça crée, ils connaissent tous les joueurs de France dans leur catégorie. J’étais impressionné de voir qu’ils savaient te parler du petit prodige de Montpellier en U15.
Un autre personnage central du livre, c’est Foued, l’entraîneur. On a l’impression qu’il va d’un extrême à l’autre au niveau émotionnel. Capable de leur tenir des propos très dur après un mauvais match comme d’avoir les larmes aux yeux pour leur dire qu’il les aime.
C’est un des personnages les plus intéressants du livre. Parce qu’il a quelque chose de très humain, de très sensible. Et il évolue vraiment au cours de l’histoire. Il navigue entre ces deux personnalités. D’un côté le méditerranéen au sang chaud, volcanique, et très exigeant avec les garçons. Après, concernant cette exigence, il le reconnaît lui-même, mais explique qu’il est exigeant parce qu’il pense que ce sont les meilleurs et que ça fait partie du sport de haut niveau. Et en même temps, il est capable d’être très tendre. Il y a un lien presque paternel qui se développe entre lui et les garçons. Et les garçons eux-mêmes le trouvaient très dur au début de l’année mais reconnaissaient à la fin qu’ils n’avaient jamais autant progressé. Ils lui demandaient plein de conseils par message d’ailleurs.
Foued fait d’ailleurs une remarque intéressante. Il explique qu’en tant qu’entraîneur, il n’aime pas avoir le même effectif deux années de suite. Parce que l’affectif prend le dessus et qu’il peut perdre en objectivité. Et pourtant, en fin d’année, il regrette terriblement de devoir les quitter.
En fin d’année, il y a d’ailleurs cette histoire touchante où il leur écrit une lettre qu’il veut leur lire pour leur dire à quel point il les aime. Et finalement, la lettre reste dans sa poche parce qu’il n’ose pas la lire.
Il y a donc quelque chose de vraiment touchant dans la personnalité de Foued.
Et aussi d’un point de vue footballistique, il a fait un travail de fou avec eux. Ses consignes étaient hyper riches, hyper précises et les garçons ont réussi à les appliquer. Et voir autant de rigueur tactique chez des garçons de quatorze ans, c’était incroyable. Les causeries d’avant-match ou à la mi-temps avec les analyses du jeu adverse, c’était un échange tactique de très haut niveau. Surtout pour des gamins de cet âge-là.
Tu parles du fait que Foued est déçu de ne pas pouvoir continuer avec eux. Mais on sent d’ailleurs que certains dirigeants du Red Star sont hésitants à laisser partir les jeunes parce que le club est à la lisière du monde pro et voudrait monter un centre de formation avec eux.
C’est le paradoxe de cette saison 2018-2019. Le Red Star a un peu le cul entre deux chaises. Le club fait l’ascenseur entre national et ligue 2. Et donc n’a pas la possibilité d’ouvrir son propre centre de formation pour pouvoir ensuite viser plus haut. Ce qui est dommage. Car l’ile de France est un des viviers de joueurs les plus incroyables qui existe au monde. Il y a une énorme densité de clubs, de population qui crée un vivier énorme de joueurs dans lequel tous les recruteurs viennent piocher. Sauf qu’il n’existe que le centre de formation du PSG sur ce territoire. Avec les difficultés que l’on sait pour y percer en pro vu que ça implique d’être en concurrence avec Verratti ou Neymar. On le voit d’ailleurs avec des Coman, Kouassi ou Nkunku qui éclatent ailleurs. Et un autre centre de formation en ile de France, pouvant bénéficier de ce vivier, sans éloigner trop de leurs familles des gamins de quatorze ans, ce serait un projet génial. Et il y a deux clubs vraiment positionnés pour ce projet, c’est le Paris FC et le Red Star. Mais le Paris FC a pris de l’avance en arrivant à se stabiliser en ligue 2 et en ouvrant son centre.
L’enjeu de la saison 2018-2019 était donc là. Car le Red Star était en ligue 2 et aurait pu ouvrir son centre la saison suivante s’il s’était maintenu. Donc les dirigeants voulaient retenir les garçons pour pouvoir monter le centre, mais ils ne pouvaient pas le garantir. Donc quand des centres de formation comme Caen ou Saint-Étienne viennent proposer un essai aux garçons, évidemment qu’ils y vont.
Il y a d’ailleurs une anecdote que je raconte dans le livre où Jhon(1) se fait sévèrement engueuler après être allé passer un essai au Paris FC dans le dos des dirigeants et des entraîneurs. Sauf que les joueurs ont tous des agents et que les agents ne font, quelque part, que leur boulot en trouvant des portes de sortie pour les garçons. Ce qui était surtout problématique dans le cas de Jhon, c’est que c’était un des meilleurs joueurs de l’équipe mais qu’il n’avait aucune proposition. Pour plusieurs raisons possibles: parce qu’il est petit et que ses limites physiques peuvent refroidir les recruteurs, et aussi parce que son profil de milieu de terrain fin techniquement est souvent recruté dès les U13, comme me l’expliquait Raphaël(2). Donc quand tu es agent d’un talent pareil, tu essaies de te bouger pour le caser quelque part et le Paris FC était intéressé. Sauf que les relations entre les dirigeants du Red Star et du PFC sont tendues et donc l’agent organise ça sans en parler au Red Star. Mais comme me le disaient Foued et son adjoint Souraké, tout finit par se savoir dans le milieu du foot. Et Foued se sentait trahi, justement parce que lui n’avait jamais cherché à retenir les garçons. Il ne se serait jamais opposé au fait que Jhon signe au Paris FC.
Aujourd’hui, le Red Star a ouvert une académie. Qui est une structure de sport-études avec des horaires aménagés mais pas le label centre de formation.
Comme tu étais en tribune pour tous leurs matchs, tu a aussi pu assister au ballet des recruteurs qui venaient, parfois même de l’étranger, pour superviser les garçons. Ça a un côté un peu « foire aux bestiaux », non ?
Complètement. Ou aussi un peu comme au champ de courses où tu viens parier sur un canasson en espérant toucher le jackpot.
Je pense que c’est même encore plus présent chez les plus jeunes, où tu as en plus les agents, qui viennent pour prendre position avant que les jeunes ne soient courtisés par les centres. Parce qu’à quatorze ans, les jeunes ont quasiment tous un agent, déjà. Donc les agents viennent dès les U13 ou U11.
Et c’est vrai que c’est assez lourd, à chaque match, de voir des adultes avec des petits carnets en main où ils notent les performances des joueurs. Et même aux entraînements, d’ailleurs. Et quand je demandais aux gars si ça ne les dérangeait pas, ils me répondaient que non. Ils étaient très détachés par rapport à ça. Ils avaient parfaitement conscience de ce que c’était, mais ils le géraient sans problème.
Pour revenir sur tes liens avec eux, tu racontes une scène avant un match important où Foued leur demande de gagner pour plusieurs personnes, notamment pour toi, en disant que tu l’as ressenti comme la vraie marque de ton intégration dans le groupe.
C’était avant le match contre le PSG, je crois. Et ça rejoint ta question précédente parce que c’est l’un des gros matchs de la saison et que la tribune est pleine, notamment de recruteurs, mais aussi de spectateurs. Et ça met quand même un peu la pression. Donc Foued leur a tenu un discours où il leur dit: « Oubliez l’affluence, oubliez le contexte. Concentrez vous sur votre match et ne jouez que pour Souraké, pour moi et pour Basile. » Et quand j’ai entendu ça, j’ai été hyper touché et je me suis dit que je faisais partie du groupe. J’étais devenu un repère pour eux.
C’est d’ailleurs Emin qui m’a dit ça à la fin de la saison. Quand il a réussi à intégrer un centre de formation dans la toute dernière ligne droite, il m’a invité chez lui pour sa signature de contrat en me disant « Toi aussi tu as participé ». Parce que, d’après eux, le fait de se savoir observés par un journaliste, le fait de savoir qu’il y aurait, même dans un futur un peu lointain, un livre qui parlerait d’eux, ça les a forcés à être exigeants avec eux-mêmes.
Et justement, tu n’as pas eu peur que ce lien humain fort que tu étais en train de créer avec eux n’affecte la neutralité de ton enquête ?
Bien sûr. Et c’est pour cela que la forme du livre est un peu hybride. La narrative non fiction, on est un peu à mi-chemin entre enquête et récit. Ce n’est pas une enquête journalistique pure, où j’aurais pu parler des agents, des recruteurs et raconter tout l’environnement autour. C’est aussi fait pour être une histoire humaine. Alors, certes, je n’invente rien. Tout ce qui est raconté dans le livre est vraiment arrivé. Mais il y a aussi une histoire, une sensibilité, une émotion. On se rend bien compte que je m’attache aux garçons et que je suis un peu nostalgique quand la saison se termine.
Je voulais rester objectif sur le côté purement football, raconter les signatures et les processus pour être recruté en centre de formation. Et après, la sensibilité et l’émotion qui s’immiscent dans le récit, c’est plus entre les garçons et moi. Donc je pense qu’au final, ça ne biaise pas la dimension enquête de mon travail.
As tu quand même pu suivre la suite de leurs carrières respectives en centres de formation, ou pas d’ailleurs, malgré le fait que leur première saison aie été interrompue par le covid ?
Bien sûr. Je suis en contact avec tout le monde. Surtout sur les réseaux sociaux.
Après, je suis beaucoup allé voir Nadir à Saint Ouen. Il a eu une période un peu difficile. Parce que voir tous ses potes d’enfances partis alors que lui est resté au Red Star. Il était très déprimé. Donc à un moment, j’allais le voir presque toutes les semaines pour lui remonter un peu le moral et parler. On restait ensemble une heure, parfois deux, après les entraînements pour discuter. J’ai noué une relation forte avec lui pendant la saison, donc j’ai continué à le motiver et l’encourager pour qu’il s’accroche. Et ça a payé, parce qu’il a été appelé pour un essai à Saint-Étienne et convoqué en sélection U16 algérienne. Sauf que tout est tombé à l’eau à cause du covid. Après, je suis allé aussi beaucoup à Montrouge pour voir Jhon, Mohamed et Brayan(1) qui y sont partis en U17 nationaux. Et je suis allé beaucoup à l’académie pour revoir ceux de l’équipe B.
Alors le coronavirus a un peu tout bouleversé. Mais la saison 2020-2021 a repris, et là, pour beaucoup, c’est vraiment la saison de la consécration. Même si ça va être un peu stoppé par le confinement (entretien réalisé le 30 octobre, premier jour du reconfinement, ndr), mais certains cartonnent depuis août. Ils sont tous titulaires en U17 nationaux dans leurs centres respectifs. Mahamadou est capitaine à Strasbourg et meilleur buteur de la zone est et même sélectionné en équipe de France U17. Israel(1) a été surclassé en U19 par Saint-Étienne et aussi sélectionné en équipe de France. Nassim(1) est meilleur buteur de la zone ouest avec Caen. Même chose pour Sean dans la zone nord avec Lens. Anis(1) est capitaine d’Amiens qui est leader de sa poule… C’est juste compliqué pour Al Amin à Lyon qui est blessé depuis plusieurs mois.
Après pour Jhon qui est en U17 à Montrouge alors que j’étais persuadé qu’il allait signer, son équipe est cinquième de son championnat. Et il manque encore de régularité. Mais il a un talent monstre et il respire le football. S’il fait une grosse saison à Montrouge en U17 nationaux, ça peut être son année. Et même chose pour Nadir.
Le truc, c’est qu’au début, je voulais trouver quatre profils qui allaient être plus mis en avant dans le bouquin. Donc il y avait Sean, un peu la star de l’équipe, déjà pris en centre de formation. Nadir, parce que c’est l’ancien de l’effectif et une grosse personnalité. Puis il est gardien, qui est un poste à part. Esaïe parce que c’est le capitaine de l’équipe et qu’il est très drôle. Et je m’interrogeais sur le quatrième je cherchais un petit prodige technique dont j’étais à peu près sûr qu’il signerait. J’ai hésité entre les deux relayeurs, Nassim et Jhon. Mêmes profils, hyper techniques, hyper élégants… Finalement, j’ai choisi Jhon parce qu’il a en plus une histoire incroyable, parce qu’il est arrivé de Colombie sans parler français. Et finalement, Nassim a signé à Caen et Jhon n’a pas encore réussi. Comme quoi, ça tient à pas grand chose.
(1) Joueurs de l’équipe
(2) Raphaël Cosmidis, co-auteur des livres Comment regarder un match de foot, Les entraîneurs révolutionnaires du football et L’odyssée du 10 est présent dans le livre car entraîneur au sein des catégories de jeunes du Red Star.