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ITW – Olivier Margot présente « L’homme qui n’est jamais mort »

ITW - Olivier Margot présente L'homme qui n'est jamais mort

A l’occasion de la sortie de son livre L’homme qui n’est jamais mort, Livres de Foot a rencontré Olivier Margot. Voici son interview.

L’INTERVIEW

 

Livres de Foot : Dans la quatrième de couverture du livre, vous dites « la majorité du livre est vraie et tout le reste est vraisemblable », jusqu’à quel point avez-vous « inventé » ?

Olivier Margot : J’ai inventé deux personnages : Liz, une britannique que va fréquenter Matthias Sindelar et j’ai surtout inventé le personnage de Gustave Lefèvre qui est un  journaliste français éclectique et polyglotte installé à Vienne et ami de Sindelar. Mais ce que je n’ai pas inventé le concernant, ce sont les articles de presse écrits au sujet de Sindelar dans Ce soir, le journal d’Aragon. Et le contenu des articles cités est bien authentique. J’ai juste personnifié leur auteur via la création du personnage de Gustave Lefèvre.

Moi je voulais faire une biographie la plus exacte possible. Mais c’est Isabelle Laffont (la directrice des éditions JC Lattès, ndr) qui m’a dit qu’elle préférait un roman dans la mesure où il existe des zones d’ombre et des incertitudes notamment au sujet de sa mort. Il était donc préférable de passer dans une trame romanesque plutôt que dans une trame biographique.

L’autre point important, c’est que certains faits sont difficiles à reconstituer avec précision car une large part des archives autrichiennes de l’époque ont brûlé sous les bombardements de la seconde guerre mondiale. Il reste des témoignages et on peut un peu piocher dans la presse de l’époque. Mais c’est compliqué. C’est pour cela que je dis que presque tout est vraisemblable. Evidemment que les résumés de matchs, les buts qu’il a marqué que je relate… sont tous vrais. Mais le reste est vraisemblable parce qu’on n’a pas de preuve. Certains matchs importants de sa carrière, par exemple, ne sont pas traités dans le livre parce que je n’avais absolument rien.

 

LDF : On a presque l’impression en lisant le livre que, autant que celle de Sindelar, vous vouliez raconter l’histoire de Vienne.

OM : Vous avez totalement raison. Matthias Sindelar est un homme d’exception. Mais son histoire personnelle est le plus beau des prétextes pour raconter Vienne, pour raconter la Mittel-Europa, pour raconter la façon dont on a traité les juifs à Vienne avec la montée du nazisme alors qu’ils représentaient tout de même dix pour cent de la population. Donc la vie de Sindelar est un vecteur extraordinaire car lui-même est l’un des grands acteurs de l’opéra du siècle.

 

LDF : Pour beaucoup de gens, Vienne est surtout la ville de Mozart. Pourtant il transparaît dans votre livre que Sindelar était peut-être plus représentatif de Vienne que Mozart ne pouvait l’être.

OM : En tous cas, il a largement gagné le « match », si je peux me permettre l’expression,  des obsèques. Mozart a été enterré de nuit alors qu’il y avait au moins vingt-mille personnes qui ont suivi le catafalque de Sindelar jusqu’au cimetière central. C’est sûr que Sindelar a été représentatif d’un moment. De ce qui fût peut-être le dernier moment glorieux de l’empire austro-hongrois. Y compris jusque dans son jusqu’auboutisme dans sa résistance aux nazis à la fin de sa vie. On parle tout de même d’un homme qui a connu l’empire Austro-Hongrois, l’austro-marxisme, l’austro-fascisme et le nazisme. Le tout en quelques années.

 

LDF : Il y a quelque chose de frappant quand on lit le livre, c’est le parallèle qui est possible entre la vie de Sindelar et le football actuel. A savoir que le football est souvent vu aujourd’hui comme un moyen d’ascension sociale alors que, dans le cas de Sindelar, il a surtout été vu comme un moyen d’ascension culturelle dans la mesure où il a fréquenté le tout Vienne culturel sans jamais quitter le quartier ouvrier de son enfance.

OM : Tout à fait. Mais on ne peut pas vraiment dire qu’il l’ait cherché. C’était quelqu’un de très intériorisé, très timide. Ca s’est offert à lui plus qu’il n’est allé le chercher. Et, au-delà de ses qualités de footballeur qui sont évidemment admirables, le fait qu’il ait réussi à intégrer ces cercles-là est quelque chose de remarquable pour l’enfant du Lumpenprolétariat qu’il était. Parce que le Vienne de cette époque-là est la capitale européenne de l’intelligence, de la culture et de la musique. De la mélancolie, aussi. C’est une véritable capitale intellectuelle. Et il y a été vraiment choyé et entouré par de grands artistes. A tel point qu’un comédien de théâtre réputé comme Attila Horbiger pouvait se permettre de refuser de jouer certains weekends pour aller accompagner le Wunderteam qui jouait à l’étranger. Il y a une extravagance sociale magnifique de voir cette équipe, pas seulement Sindelar d’ailleurs, autant aimée par les cercles culturels alors qu’elle venait du prolétariat le plus dur.

 

LDF : Dans l’imaginaire collectif, Sindelar est vu comme LE footballeur qui a résisté aux nazis. Mais on résume souvent sa résistance à son but contre l’Allemagne en 1939. Alors même qu’il a montré des insoumissions aux nazis bien plus importantes, comme son refus d’interdire l’accès de son café aux juifs.

OM : C’est vrai. Pour remonter ce fil là, il faut partir de sa mort. On ne saura jamais vraiment comment il est mort. C’est là que l’on peut saluer le travail remarquable des journalistes de Paris-Soir et Ce soir qui ont démontré le fait que le faible taux de monoxyde de carbone relevé à l’autopsie ne pouvait pas permettre de conclure à une asphyxie mortelle. Or c’est la cause officielle de sa mort. Et c’est après sa mort qu’un journaliste publie un excellent papier sur les rapports entre Sindelar et la mairie de Vienne, très largement acquise aux nazis. Rapports extrêmement conflictuels car Sindelar refusait que l’on appose une affiche Interdit aux non-aryens sur la devanture de son café, ce qui était déjà très risqué avec la gestapo aux trousses. Il permettait aux tziganes, aussi persécutés par les nazis, de venir jouer de la musique dans son café. Les juifs pouvaient entrer dans le café et consommer. C’était le seul café de Vienne dans ce cas-là. Cela faisait beaucoup. Surtout qu’il est mort en compagnie d’une femme juive et qu’il jouait pour l’Austria Vienne qui était le club de la bourgeoisie juive. D’autant plus qu’il a, malgré les interdictions, continué à fréquenter les anciens dirigeants juifs après qu’ils aient été déchus par le régime nazi tout en le revendiquant ouvertement, y compris face aux officiers nazis. Quand on fait le cumul de tout ça, on se dit qu’il savait exactement les risques qu’il prenait.

C’est d’autant plus fort qu’à la même époque, de grands clubs étrangers comme Manchester United lui ont offert des ponts d’or qui lui auraient permis de quitter Vienne et de se mettre en sécurité vis-à-vis des nazis. Mais il était chez lui à Vienne et il ne s’imaginait pas déserter.

 

Anecdote qui peut faire sourire d’ailleurs : sur la photo qui est utilisée pour la couverture du livre, beaucoup de gens pensent que l’homme en arrière plan est un espion chargé de le surveiller alors qu’il s’agit d’un journaliste qui vient assister à l’entraînement avant le match « du siècle » (Angleterre-Autriche en 1932, ndr).

 

LDF : Il met un but légendaire après un impensable slalom spécial contre l’Italie en 1932. On a presque l’impression que ce but serait entré dans l’histoire de la même manière que celui de Maradona en 1986 si la télé avait existé à l’époque.

OM : Ironie du sort, John Langenus, l’arbitre Belge de ce match, qui avait notamment arbitré la finale de la première coupe du monde, situe ce but lors du légendaire match Angleterre-Autriche la même année.

Il m’a fallu rechercher dans des archives pour être sûr que ce but avait bien eu lieu contre l’Italie.

Mais pour en revenir à la question, oui, c’est comme Maradona en 1986. Et il va de soi que si la télé avait été présente, ce but serait entré dans la légende du football. Des buts comme ça, il en a marqué quelques uns d’ailleurs. Même s’il était avant tout un passeur génial. Ce qui rend en plus son histoire extraordinaire, c’est qu’il joue blessé quasiment toute sa carrière avec un genou bandé en permanence.

 

LDF : Vous dites que tous les ans, se déroule un rassemblement de commémoration à l’occasion de l’anniversaire du décès de Sindelar, et il a été élu sportif autrichien du vingtième siècle plus de 60 ans après sa mort. C’est surprenant alors que beaucoup de gens pensent que la culture du sport en Autriche se résume au ski alpin.

OM : C’est vrai. Il s’est passé quelque chose dans les années 30 avec cette équipe qui a révolutionné le football. C’est peut-être la première équipe à avoir raisonné le football sur le plan collectif. Mais aussi à avoir eu des idées qui étaient rares à l’époque, comme faire des passes en retrait et, d’une manière générale, à avoir travaillé sur la circulation et la conservation de la balle. Sindelar fut, quelque part, le créateur du poste de faux avant-centre reculé qui fut ensuite révélé à la face du monde par Nandor Hidegkuti avec la Hongrie en 1954.

Et d’ailleurs, quand on parle de la performance du Wunderteam au mondial 1934, certains présentent cette équipe comme déjà finie. Mais personne ne prend la peine de préciser qu’à ce moment-là, l’Autriche sort d’une guerre civile. C’est-à-dire que leur présence peut déjà être considérée comme miraculeuse.

 

LDF : Pour continuer sur le sujet de l’importance de la télévision dans la mémoire collective, quand on parle de l’école austro-hongroise du jeu, on a l’impression que, du fait de sa gloire post deuxième guerre mondiale, la Hongrie de Gustav Szebes a plus marqué les imaginaires que le Wunderteam d’Hugo Meisl.

OM : Ca commence avec l’Autriche de Meisl, ça se prolonge ensuite avec la Hongrie de Szebes. Mais il ne faut pas non plus oublier la Tchécoslovaquie qui atteint la finale de la coupe du monde 1962 contre le Brésil de Pelé et Garrincha. Donc au-delà de l’école austro-hongroise, on peut parler d’école de la Mitteleuropa. Même si la Tchécoslovaquie, pourtant au sommet après l’apparition de la TV, a moins marqué les esprits.

 

LDF : Dans son livre La pyramide inversée, Jonathan Wilson fait souvent référence à l’importance des kafeehausen viennois dans la diffusion des idées tactiques des entraîneurs de l’école Austro-Hongroise, Hugo Meisl en tête. Or, Sindelar a beaucoup fréquenté les cafés et en a même racheté un.

OM : Ce qu’il faut garder en tête, c’est qu’au début, Sindelar n’ose pas entrer dans les cafés. Cela lui paraît interdit, dans la mesure où ce sont les lieux de l’élite culturelle et que lui vient du quartier ouvrier et qu’il n’a pas un sou.

Les cafés viennois, en plus, permettent de prendre juste une boisson et de rester la journée entière à lire les deux-cents journaux à disposition. Il a ce complexe d’illégitimité, comme quand il va à l’opéra. Pareillement quand il va entendre un cours sur Otto Wagner à l’université. Il n’ose pas y aller, et il faut qu’on l’y pousse.

Mais son café préféré, le café herenhoff, qui existe toujours en plus, est un café plutôt de prolétaires que de nantis. Il y passe d’ailleurs une grande partie des dernières années de sa vie.

 

LDF : Le premier chapitre s’ouvre sur une ballade offerte à Sindelar par son instituteur pour son dixième anniversaire et qui lui permet, pour la première fois, de franchir les limites de son quartier de vraiment découvrir Vienne. On a l’impression que, sans ce moment fondateur de son histoire, rien de ce qui s’est passé ensuite ne serait arrivé.

OM : L’instituteur existe vraiment. Toutes les dates que je donne dans le livre concernant leur relation sont vraies. Cet homme a été exceptionnel avec l’enfant qu’était Sindelar et a tout de suite pris conscience du potentiel de ce que Sindelar pouvait devenir, et pas seulement sur un terrain de football. Mais c’est lui qui, entre autres, lui apprend à jouer et donc lui apprend ce qui deviendra son existence. C’est un prof tel que tout le monde en rêve ou en a rêvé. Il a ensuite toujours été là pour lui, à chaque instant important de sa vie, il savait qu’il pouvait compter dessus. Et il l’a d’ailleurs accompagné jusqu’à ses obsèques.

Mais effectivement, cette promenade est un moment clé de la vie de Sindelar. Il découvre cette ville, la beauté de cette ville, la grandeur de cette ville…de sa ville.

 

LDF : Au fond, au-delà de représenter Vienne, Sindelar donne l’impression de représenter la bohème. Ses origines tchèques, sa bohème culturelle, le fait qu’il demeure toute sa vie dans son quartier ouvrier d’enfance…

OM : Précision tout de même, Sindelar est très bien payé. Mais il vit autrement. Au moment de Vienne la Rouge il fréquente surtout les cercles ouvriers tchécoslovaques. Et autour de Vienne la Rouge va se constituer ce qui deviendra le Wunderteam. Parce que les joueurs sortent tous de là. Surtout que l’inspiration de Vienne la Rouge émane directement du parti socialiste tchécoslovaque viennois. Parti qui édite un journal social-démocrate à Vienne même, dès le dix-neuvième siècle. Et tout ceci n’existe quasiment pas dans les livres d’histoire. Donc Sindelar est une opportunité merveilleuse pour se pencher sur tout cela. Et le livre, autant que le récit de la vie de Sindelar, est un tableau d’une époque.

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