INTERVIEW
Véritable OVNI dans le monde du football, Thomas Tuchel est un technicien qui détonne, surprend, mais surtout séduit. C’est ce cocktail explosif qui a poussé le PSG à le nominer à la tête de l’équipe première dans l’espoir de changer – définitivement – de stature. Le parcours de ce personnage atypique a donné des idées à Markus Kaufmann. Avec « Thomas Tuchel, Faire grandir Paris », il signe un splendide récit sur le tacticien, mais aussi l’homme Tuchel.
12 février 2019. Il est un peu plus de 23 h lorsque Daniele Orsato siffle la fin du premier round entre Mancuniens et Parisiens. Au terme de ce premier acte au Théâtre des Rêves, le Paris Saint-Germain vient de plonger les hommes d’Ole-Gunnar Solskjaer dans un véritable cauchemar. Plus qu’une simple victoire, les Rouge et Bleu viennent de donner une véritable leçon tactique et psychologique aux Red Devils. Si cette partition a parfaitement été récitée par les joueurs parisiens, elle a été composée par un chef d’orchestre hors pair, qui pose encore plus son empreinte sur le club de la capitale. Cet artiste, c’est Thomas Tuchel.
Alors que son arrivée au PSG avait suscité beaucoup d’interrogations sur la stratégie du board parisien, l’ancien entraîneur du BVB a vite dissipé les doutes. Véritable capitaine d’un navire parisien déjà bien armé, Thomas Tuchel est en train de lui apporter les dernières retouches tactiques et psychologiques dont il avait besoin pour continuer à briller. Au lendemain de son coup d’éclat à Old Trafford, la rédaction d’Eurosport.fr présentait le technicien allemand comme « un sorcier bien-aimé ». Une énième étiquette qui semble parfaitement coller au natif de Krumbach tant son empreinte sur le vestiaire parisien est de plus en plus prégnante.
Si Paris apparaît comme l’un de ses plus grands défis, Thomas Tuchel peut s’appuyer sur une carrière savamment construite pour mener à bien sa mission parisienne. De ses débuts d’entraîneur à Stuttgart jusqu’à son arrivée dans l’Hexagone, le parcours de Tuchel n’est pas un parcours linéaire. Sorti – trop ? – prématurément du circuit professionnel, l’allemand touche-à-tout a tracé sa route et s’est petit à petit crée une notoriété et une destinée exceptionnelles.
Cette histoire, c’est Markus Kaufmann qui la raconte. Porté par une plume subtile et précise à la fois, ce récit tuchelien est une remarquable plongée dans la vie de Thomas Tuchel. Pour Livres de Foot, Markus revient sur le parcours et le destin de cet homme unique.
Tout d’abord, une question toute simple : pourquoi avoir écrit sur Tuchel et comment as-tu procédé ?
L’idée est d’abord venue des éditions Marabout. Habitant à Londres et travaillant pour divers clubs, je passe actuellement mes diplômes de coach. Dans le cadre de cette formation, ça m’intéressait de me focaliser sur un seul entraîneur, sa méthodologie et essayer de comprendre son histoire. De plus, ça faisait un moment que j’avais envie d’écrire un long format sur le foot. Le parcours de Thomas Tuchel se prêtait parfaitement à ce que je recherchais dans le sens où il a eu une ascension très progressiste et qui parcours tellement de milieux différents que ce soit le football amateur – le football des campagnes, la formation des jeunes ainsi que des logiques sportives très différentes selon les clubs, que ce soit à Mainz qui était un promu qui luttait pour ne pas se faire reléguer jusqu’à Dortmund.
Pour le processus de travail, il y a eu une première partie de recherches où j’ai traduit tous les articles imaginables de la presse allemande qui traitaient de Tuchel – les conférences de presse, les interviews des joueurs qui parlaient de Tuchel. Ensuite, j’ai travaillé avec deux journalistes, Sophie Serbini et Ali Farhat qui collaborent pour So Foot et qui sont basés en Allemagne, à Bonn. Ce sont des spécialistes de la Bundesliga et notamment de Dortmund. En plus de toutes ces recherches, ils ont pu faire de nombreux voyages partout où Tuchel est passé – je les ai accompagnés également. Cela nous a notamment permis de récupérer une bonne vingtaine de témoignages de personnes qui ont vraiment collaboré avec lui de manière plus ou moins proche, d’Ilkay Gündogan à Marc Bartra à Dortmund jusqu’à ses anciens coéquipiers de son équipe de lycée que l’on a retrouvé sur Facebook et qui étaient très heureux de pouvoir raconter leur partie de l’histoire qu’ils ont partagé avec Thomas Tuchel.
Comment présenter le profil de Thomas Tuchel ?
En fonction de son poste et de son avancée dans sa carrière, Thomas Tuchel est quelqu’un qui a beaucoup évolué. On a eu le Thomas Tuchel lycéen et formateur qui a soif d’apprendre puis le Tuchel de Dortmund sous pression, dans un environnement très compétitif. Par exemple, quand il arrive à Mainz, il a vraiment envie de travailler sur le long terme du club avec la “formation d’élite” notamment. C’est une chose qu’il n’a pas forcément pu mettre en place lors de ses années à Mainz puisqu’il était guidé par la nécessité du maintien. Il a ensuite eu moins le temps – voire pas du tout – pour mettre en place ce qu’il voulait à Dortmund puis au PSG.
Ton ouvrage s’intitule « Thomas Tuchel, Faire grandir Paris ». Est-ce que Tuchel est l’entraineur qu’il faut pour que le PSG passe enfin un cap – et pas seulement celui des huitièmes ou des quarts de la Champions League ?
Le titre a vraiment été choisi pour mettre en valeur le côté “processus”, “travail” et “cheminement” pour que le PSG devienne un très grand club d’Europe. Cependant, le livre ne parle pas tellement du PSG. On a vraiment que le prologue et le dernier chapitre qui parlent du défi parisien. C’était un peu une façon de montrer que le processus du PSG s’aligne bien avec le caractère de Tuchel et ses qualités dans la mesure où c’est quelqu’un qui a démontré à Stuttgart, à Mainz ou à Dortmund qu’il travaille dans la durée. Ça permet aussi de mettre en souligner les défis qu’il a eu tout au long de sa carrière que ce soit faire progresser des individualités pour réaliser des plus-values à Mainz, faire évoluer un système tactique très ancré à Dortmund vers plus de flexibilité pour avoir plus de solutions. C’est un résumé de ce dont le PSG a besoin aujourd’hui. Il a aussi une vision plus large du métier d’entraîneur comme tu le mentionnes. Il a certes été formateur avec les jeunes, mais il a aussi été directeur de centre de formation et il peut apporter cette vision plus globale dans un projet sportif parisien qui demeure jeune dans la galaxie où ils veulent évoluer. Après, le défi médiatique parisien est tel qu’il va devoir se focaliser sur les résultats de l’équipe première à court terme avant de penser à d’autres projets. On l’a vu avec ce match à Manchester où les attentes étaient énormes. La presse française parle de ce match depuis des semaines. A contrario, quand on voit comment Manchester a préparé le match, c’est totalement différent. C’est match après match alors qu’à Paris, ça fait deux mois qu’on leur parle du match à Manchester. On m’a même demandé en interview si Thomas Tuchel allait “sauter” s’ils perdaient le match… On en vient à juger la carrière de quelqu’un qui a dix-huit ans d’expérience sur un huitième de finale où il a ses deux de ses meilleurs joueurs sur le flanc. L’environnement parisien n’est pas forcément évident et c’est raconté dans le livre.
Ralf Rangnick a inspiré de nombreux éducateurs en Allemagne. Comment résumerais-tu son apport à Thomas Tuchel ?
Ce qui est intéressant avec les influences de Tuchel, c’est que ce n’est pas un ancien joueur qui s’est dit du jour au lendemain, “je vais devenir entraîneur”. Perdu, déçu, Tuchel a notamment été barman entre la fin de sa carrière de joueur et son début de parcours d’entraîneur. Il n’a pas essayé de construire un modèle de jeu à la va-vite en piochant à droite, à gauche. Ce n’est pas l’entraîneur qui est appelé du jour au lendemain par son ancien président et qui doit être opérationnel car il connaît le club. C’est arrivé à beaucoup d’anciens joueurs qui ont utilisé l’expérience acquise auprès de leurs anciens coachs. Ils n’ont pas forcément besoin de beaucoup d’années de travail pour être prêt et ils apprennent sur le tas en fin de compte. Thomas Tuchel, c’est très différent. Il a vraiment commencé de tout en bas. Il s’est construit au fur et à mesure. Pour qu’il soit vraiment influencé par un entraîneur, il faut qu’il ait beaucoup travaillé avec lui. À son arrivée à Paris, on parlait de l’influence de Klopp mais Tuchel a toujours été très clair par rapport à ça : même s’il lui a succédé à Mainz – indirectement, car il passe après Andersen – et à Dortmund, il n’a jamais parlé de jeu plus de cinq minutes au téléphone avec lui. Il ne comprenait donc pas que les gens puissent affirmer qu’il était influencé par Klopp, car “ils n’avaient jamais travaillé ensemble”. Ainsi, on peut donc parler de Ralf Rangnick comme une de ses sources d’influence dans le sens où il a été son entraîneur à Ulm. Pendant ses blessures, Ralf Rangnick a beaucoup aidé Thomas Tuchel. Un collègue de Tuchel à Mainz – qui était coordinateur du centre de formation – était persuadé que Tuchel avait recopié les séances d’entraînement que Ralf Rangnick avait fait à Ulm parce qu’il était passionné par le fait qu’elles poussaient les joueurs à réfléchir par eux-mêmes et donc à entraîner leur intelligence footballistique.
S’il refuse la comparaison avec Guardiola, on peut être tenté de dire qu’il est un de ses disciples. Si tu devais associer Tuchel à un autre technicien, ce serait avec Pep ?
On parle beaucoup de Pep Guardiola comme d’un modèle pour Thomas Tuchel. Pendant un moment, on a cru qu’il allait s’inspirer du Catalan pour son style, la possession de balle, le modèle de jeu très sophistiqué. Quand Tuchel parle de Guardiola, c’est davantage sur la façon qu’il a à exercer son métier d’entraîneur, la passion qu’il met dans ce travail, sa communication avec les médias, qui in fine, se rapproche beaucoup de celle de Tuchel.
Mainz a un peu été le laboratoire d’expérimentation de la méthode Tuchel. Il en a ressorti un livre de formules très complet. En tant qu’analyste, qu’est-ce qui te séduit le plus dans la méthode Tuchel et quel est est le point tactique qui fait son identité ?
Dans la perspective d’un coach, ce qui est le plus admirable – et je pense que c’est ce que Tuchel admire chez Guardiola, c’est de voir qu’un homme va arriver avec ses idées et sa personnalité dans un vestiaire. Peu importe la tactique qui est mis en place, peu importe la complexité des relations dans le vestiaire, il va avoir un impact très, très clair sur la façon de jouer de son équipe. Cela implique des qualités de motivateur, de psychologue, de tacticien et de meneur d’hommes. Il faut se rappeler que chaque entraîneur arrive avec son staff. Tuchel s’est entouré de personnes très compétentes et complémentaires. Ce qui est intéressant, c’est de voir les impacts que peuvent avoir les méthodes d’un entraîneur et son staff sur un groupe. C’est ça qui est fascinant avec Guardiola. Peu importe le projet qu’il a choisi – bien sûr, il a toujours eu des budgets importants derrière lui et des équipes de haut niveau, la patte de son coaching est visible au bout de quelques semaines. C’est un peu la même chose avec Marcelo Bielsa. C’est ça que Thomas Tuchel admire chez ces deux entraîneurs. C’est l’essence même du métier de coach. Au-delà de faire gagner son équipe, c’est de la faire jouer avec l’ambition de lui donner une idée de jeu précise. Il y a des centaines de façon de faire briller les joueurs et Tuchel n’est pas dans l’idée de “faire briller ses idées”. Il a toujours été très flexible et pragmatique dans son approche tactique. C’est un entraîneur qui fait progresser les individualités. On a vu l’incroyable progression de Marquinhos dans son interprétation du rôle de milieu défensif. C’est la même chose avec Guardiola et son approche des latéraux et du fait que les joueurs peuvent évoluer à plusieurs postes.
Le PSG a un sacré vivier de jeunes joueurs, mais qui sont sensibles aux appels de l’étranger par peur de ne pas avoir l’opportunité d’intégrer le groupe professionnel. Est-ce que « la formation d’élite » de Mainz ne serait pas une voie à suivre pour Tuchel et le Paris Saint-Germain pour conserver ses joueurs ?
Tuchel adore les joueurs disponibles, intelligents, ouverts à la critique et qui vont continuer à travailler. Il a parlé d’Angel Di Maria cette semaine (ndlr. semaine avant le 1/8è de Champions League, MU-PSG) en disant qu’il arrivait tous les jours à l’entraînement pour travailler dur. Marquinhos est aussi un exemple. C’est une des qualités des jeunes joueurs : ils ont encore tout à prouver et du coup sont prêts à écouter leur entraîneur pour progresser. Je ne peux pas me prononcer sur le fonctionnement de l’Academy à Paris. De ce que les médias en disent, ça reste encore un chantier au PSG. Plus que l’influence de Tuchel, il s’agira de déterminer une stratégie club qui fera le pont entre l’équipe première et l’Academy. Par la suite, Tuchel pourra agir pour les faire progresser.
Sachant que Tuchel aime le contact, la proximité avec les joueurs et suivre leur évolution au quotidien, est-ce qu’il serait taillé pour diriger la Mannschaft comme l’avait notamment déclaré Joachim Löw ?
Comme tu l’as dit, je pense que c’est quelqu’un qui aime travailler avec ses joueurs. On sait que c’est très compliqué pour un sélectionneur de prendre le temps de travailler avec ses joueurs dans le sens où il n’y a que quelques entraînements par an. C’est déjà compliqué de mettre en place un projet dans les grands clubs européens. Carlo Ancelotti en avait parlé quand il était au Bayern. Quand on lui avait posé la question de savoir “comment il avait installé sa philosophie de jeu”, il avait dit qu’il n’avait pu mettre qu’un très faible nombre de séances. Dans le cas des grands clubs qui jouent tous les trois jours avec des joueurs de statures importantes, c’est toujours difficile de revenir à cette logique de travail imposée par un nouvel entraîneur. Tuchel en a fait l’expérience à Mainz où il a repris l’équipe quelques jours avant que la saison ne commence.
Une autre qualité qui est requise pour être sélectionneur, c’est d’avoir une vision très globale des profils tactiques et psychologiques des joueurs. Dans cette optique-là, Tuchel a de grandes qualités, car quand il voit un joueur, il ne se limite pas à son poste existant et peut l’utiliser de différentes manières. On le voit avec Dani Alves à Paris notamment ou Marquinhos. Je pense qu’il a de très belles qualités pour être sélectionneur.
Quel est selon toi l’apport tactique de Tuchel le plus intéressant depuis son arrivée au PSG ?
L’apport le plus intéressant qu’il ait effectué, c’est de construire un esprit d’équipe où les joueurs sont prêts à l’écouter et à sortir de leur cadre tactique et leur confort. C’est quelque chose dont le PSG avait besoin. Dans le livre, je parle de la “dictature du 4-3-3” et je pense que Tuchel les a fait sortir de ça de façon progressive pendant la pré-saison. Il a mis en place un nouveau schéma avec notamment une défense à trois. C’était dû au fait que certains joueurs étaient blessés pendant que d’autres revenaient de la Coupe du Monde. Quand tout le monde était revenu, il est quand même revenu à ce 4-3-3 et il lui a “laissé faire ses preuves”. On a vu que ça impliquait certaines limites – notamment à Anfield contre Liverpool. Avec sa personnalité, sa psychologie, sa façon d’être, il a su progressivement gagner la confiance des joueurs pour leur faire comprendre que s’ils le laissaient travailler, il allait petit à petit pouvoir donner de nouvelles armes à Paris. Quand on voit la performance du PSG à Manchester avec ce 3-4-3 ou ce 3-4-2-1 voire 3-2-4-1, on se dit que c’est quelque chose d’inimaginable il y a encore quelques mois au PSG. Il a apporté cette flexibilité, cette force de s’adapter à n’importe quel adversaire. Le match de Manchester en est l’exemple. Les joueurs sont devenus beaucoup plus flexibles. Par exemple, Draxler a évolué à un poste très, très particulier. C’est un joueur hyper complet, très polyvalent. Cette année, quand on regarde tout ce qu’il a dû faire – jouer devant la défense ou juste derrière Mbappe contre Manchester avec des rôles très différents en phases offensive et défensive, on sent que Tuchel est un entraîneur qui travaille sur le collectif que sur le travail individuel des joueurs. Chaque joueur avait un rôle très précis. Marquinhos en est le meilleur exemple. Contre Liverpool au Parc, il avait des rôles complètement différents en phase offensive et défensive où il alternait entre défenseur central et milieu défensif. Là, contre Manchester, il avait évidemment le marquage de Paul Pogba d’une part et la mission de jouer très vite vers l’avant d’autre part, ce qui n’est pas facile pour un défenseur de formation.
Lewis Holtby – son ancien joueur à Mainz et aujourd’hui à Hamburg – disait qu’il « [combinait] l’autorité absolue et l’humanité. » Tu es d’accord avec cette description ?
C’est surtout quelqu’un qui regarde tous les détails pour être performant. On a un peu voulu le présenter comme un dictateur autoritaire quand il est arrivé au club. On avait parlé de surveillance dans les boîtes de nuit parisiennes. C’était très décalé avec la réalité dans le sens où c’est quelqu’un qui va avant tout penser au bien-être de ses joueurs. À Paris, il est tombé sur un vestiaire qui est très différent de celui de Dortmund. La première saison, il est arrivé dans un vestiaire qui avait “appartenu » à Jürgen Klopp pendant des années – et aux supporters d’une certaine manière. La deuxième saison, il avait beaucoup de jeunes. C’était plus facile pour Tuchel, car ils voulaient avant tout progresser. Il y avait aussi beaucoup d’irrégularité dans les performances cependant. À Paris, il est dans un vestiaire où il y a un noyau de joueurs qui sont là depuis longtemps avec des habitudes qui sont difficiles à changer. Sa compréhension de chaque personnalité est clef pour ensuite s’adapter.
Beaucoup disaient que Tuchel était très à cheval sur la nutrition de ses joueurs. Il avait imposé des règles à son arrivée au BVB. Est-ce qu’il en est de même au PSG ?
Pour la nutrition, ce n’est pas très compliqué : il s’agit de manger, de dormir, de vivre comme un athlète de haut niveau. Grâce à son vécu de joueur, il comprend bien que les joueurs doivent être heureux d’aller travailler tous les jours. Pour qu’une équipe soit performante le week-end, il faut qu’elle s’entraîne dur tous les jours de la semaine. Pour qu’elle s’entraîne dur, il faut qu’elle ait envie de s’entraîner. Pour qu’elle veuille s’entraîner, il faut qu’elle soit heureuse de venir s’entraîner tous les matins. La capacité de Tuchel à comprendre la personne derrière le footballeur lui permet de comprendre le groupe parisien. On l’a vu avec Neymar. Il a compris qu’il avait besoin d’un traitement particulier. Il avait eu une très bonne lecture, une très bonne analyse avec Rabiot également dès son arrivée. Il avait dit qu’il (Rabiot) avait de superbes aptitudes pour jouer en numéro 6, mais que psychologiquement, c’était quelqu’un de très curieux, qui avait envie de briller, d’aller vers l’avant. Il y avait un défi pour savoir où le placer sur le terrain. Cela illustre l’analyse que Tuchel a eue de chaque individu du groupe. Alors qu’on le présentait comme quelqu’un qui avait des idées très, très fortes qu’il allait appliquer à tout le monde, on se rend compte qu’il a fait l’inverse. Il a fléchi sur quelques-unes de ses idées car il sait que le plus important est que les joueurs soient heureux de performer sur le terrain.
Tu consacres un chapitre à l’attaque du bus qui a marqué à vie Tuchel. Il avait fustigé les décisions de son board et de l’UEFA et avait révélé son « côté humain » aux journalistes. À quel point cette attaque a-t-elle permis de libérer « l’homme Tuchel » ?
Dans cette situation précise, on voit que c’est quelqu’un qui se place toujours du côté du vestiaire. À Mainz, il avait sorti cette phrase qui avait choqué tout le monde “Après le match, je préfère rester dans le vestiaire avec mes joueurs plutôt que d’aller en conférence de presse.” C’est un homme de vestiaire. Pourtant, quand il est arrivé à Paris, on avait l’image de quelqu’un de geek, de génie du tableau noir, qui prenait de la distance par rapport à ses joueurs. Ce n’est pas du tout ça. C’est un homme de relationnel et de vestiaire. À Dortmund, il a toujours utilisé le ‘nous” pour parler de lui et des joueurs qui étaient dans le bus et du “eux” pour parler de la direction, le reste du club qui n’avaient pas vécu cette expérience. Encore une fois, à Paris, il se présente comme le protecteur du vestiaire. À la fin du mercato hivernal, quand la presse lui a tendu une perche pour critiquer la direction sportive parisienne, il a préféré parler de “protection du vestiaire”. Il a rappelé que le mercato est toujours une époque compliquée pour les joueurs car ils se sentent un peu vulnérables. Il a redit qu’il était le protecteur du vestiaire et que si l’entraîneur n’était pas là, personne d’autre ne s’en serait occupé. Cela rejoint sa compréhension des individualités. Il sait très bien que s’il veut porter le projet parisien le plus loin possible et ça passera par le fait que les joueurs soient concernés et donnent de leur personne.
Lors de sa deuxième saison à Dortmund, il pointe les « différences de performance de son orchestre dans les petites et les grandes rencontres ». Thomas Tuchel était un peu le « Bruno Génésio allemand » à l’époque ?
(Rires). Je n’ai pas envie de parler de Bruno Génésio, car ce n’est pas le sujet et je n’aime pas faire de comparaisons d’entraîneurs et surtout qui évoluent dans des environnements tellement différents. En revanche, c’est pertinent d’évoquer cette période pour Tuchel. Ce que Tuchel évoquait lors de sa deuxième saison au BVB, on l’a revu ces deux derniers mois à Paris avec un PSG qui sortait son “costume européen” sur la scène européenne et son “costume français” en Ligue 1. À Dortmund, il parlait vraiment de défi de “donner de la scène” à ses joueurs. En parlant d’Ousmane Dembélé, il disait que c’était un joueur tellement performant aux entraînements que lui et son staff ne pouvaient pas non plus innover suffisamment pour que le joueur vienne à l’entraînement et se dise qu’il allait progresser aujourd’hui. Ousmane Dembélé est un joueur qui trouvait des solutions tellement facilement que pour le stimuler et lui donner envie de jouer, il fallait qu’il joue tous les trois jours. Pendant cette deuxième saison, il parlait d’irrégularité dans le sens où l’équipe était capable de suivre un modèle de jeu sophistiqué dans les gros matchs notamment en Ligue des Champions – jusqu’à l’attaque du bus et la double confrontation face à l’AS Monaco, beaucoup considéraient que le BVB était un candidat sérieux au titre européen. En revanche, en Bundesliga, contre des adversaires plus modestes, il y avait un vrai niveau d’écart.
Au PSG, il a réussi à maintenir un niveau d’exigence très élevé notamment jusqu’à la fin de la phase de poule en Ligue des Champions. Je pense qu’ensuite, on a vu des performances plus mitigées en Ligue 1. Ce besoin de stimulation est un véritable défi pour le PSG. Ce sera intéressant de voir comment ils vont réussir à le gérer. On peut prendre l’exemple de Monaco qui a réussi à aller loin en Ligue des Champions tout en maintenant une grosse cadence en Ligue 1. Le vestiaire était construit de manière différente par rapport à Paris. L’une des solutions pour remédier au problème de régularité serait que la Ligue 1 gagne en compétitivité. Aujourd’hui, une équipe comme l’OL pose un vrai défi au PSG, mais malheureusement, ce n’est pas suffisant. Le PSG est en train de réfléchir à des solutions, voir comment il pourrait adapter son recrutement dans cette situation particulière. Dans le cas du Bayern – qui est un bon exemple, on accorde beaucoup d’importance au parcours du joueur et sur sa mentalité.
Jupp Heynckes avait dit que Tuchel serait naturellement amené à diriger le Bayern. Tu le rejoins sur ce point ?
Déjà, il est intéressant de voir que Tuchel a préféré le projet parisien à celui du Bayern. Il avait déjà dit oui à Paris malgré les garanties que lui proposait le Bayern – selon la presse allemande. Aujourd’hui, je ne sais pas quelle direction il a envie de suivre. Vu comment il prend goût à évoluer à Paris, ça ne m’étonnerait pas qu’il veuille rester à l’étranger. Dans le livre, on cite un entretien de 2015 où il parle de fascination pour la culture tactique italienne. Il a aussi beaucoup parlé de la culture du jeu au Barça et bien sûr la compétitivité de la Premier League l’a toujours intéressé. Ça ne m’étonnerait donc pas qu’il continue à voyager.
Une question un peu décalée : quel joueur tu aimerais voir – ou revoir – sous la houlette de Tuchel ?
En tant que grand amoureux du joueur, j’aurais adoré voir évoluer Javier Pastore sous la méthode Tuchel pour voir comment il aurait pu exploiter son ingéniosité, sa créativité au service du collectif. Ça aurait été intéressant de voir quel impact Tuchel aurait eu sur le joueur. Est-ce qu’il l’aurait fait jouer devant la défense pour contrôler le jeu ? Est-ce qu’il l’aurait fait jouer comme en Argentine aux avant-postes ou presque en 9 ½ ? Ou sur un côté peut-être ? J’aurais été curieux de voir ce que Tuchel aurait fait de Pastore.
Kurt Idrizovic, son ami libraire d’Augbsburg, le présente comme un Fussballlehrer et un Fussballphilosoph. Ce sont les étiquettes qui collent parfaitement au personnage en somme ?
C’est quelqu’un qui a vraiment étudié le jeu. Si on compare avec les entraîneurs qui ont son âge, il a une avance de 10 ans par rapport à l’étude de jeu dans le sens où il a dû réfléchir au jeu dans une perspective d’entraîneur très tôt pendant que ses homologues étaient encore sur les terrains par exemple. Il a aussi emmagasiné d’autres expériences. Par exemple, Pep Guardiola a été influencé par Johann Cruyff, son ancien entraîneur. Si Tuchel a pu être influencé par Ralf Rangnick, il “compense” son faible passé de joueur professionnel par une très forte lecture du jeu, l’étude de la tactique et de la psychologie ou encore l’échange avec des spécialistes de tous les domaines imaginables pour être le plus complet. Je trouve intéressant la tension entre le besoin de compétences qu’il a dû acquérir pour exercer ce métier et la simplicité avec laquelle il exerce. Cela paraît très simple, mais en réalité, cela requiert des compétences très importantes.
Personne ne déteste Tuchel. Tout le monde peut se retrouver dans le football et la figure de Thomas Tuchel. Personnage haut en couleur, surmotivé, curieux, il a marqué les différentes institutions par lesquelles il est passé. S’il pouvait parfois tenir l’image d’un « snob incorrigible sans mœurs » selon le Frankfurter Rundschau, il n’en reste pas moins l’un des tacticiens les plus prometteurs et surtout l’un des plus intrigants sur la scène footballistique actuelle.
De Krumbach à Paris, en passant par Augsburg, Mainz ou Dortmund, Markus Kaufmann dresse ici une splendide immersion dans la vie de « celui qui sait parler à l’oreille de ses joueurs ». Riche en anecdotes – tactiques ou humaines tout simplement, cet ouvrage est un véritable parcours initiatique pour comprendre la méthode Thomas Tuchel depuis ses origines. Et aussi démonter l’image de « dictateur » qu’on lui a trop souvent donnée. Si l’ouvrage est une véritable « mine d’informations », le découpage chronologique proposé par Markus rend la lecture fluide et permet de mieux comprendre l’évolution et la construction du technicien allemand, sur le terrain comme en dehors.
Beaucoup de médias et experts français ont voulu placer Tuchel « dans une case » à son arrivée dans la capitale. Raté. S’il s’attache à démonter l’image rigoureuse et savante qu’on lui prête, Thomas Tuchel n’en reste pas moins un personnage mystérieux qui n’a pas dévoilé tous ses secrets. Pour le plus grand bonheur de « la ville de l’amour, la ville de la lumière« .
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