A l’occasion de la sortie du livre L’Important, c’est les trois points, publié aux éditions Amphora, nous avons eu l’occasion d’échanger avec l’auteur, Fabrice Bocquet.
Fait assez rare sur Livres de foot, mais avant d’entamer l’entretien au sujet du livre, petite question d’actualité : en tant qu’ancien directeur général d’un club de ligue 1, que vous inspire la prolongation de Killian Mbappé (annoncée quatre jours avant l’entretien, ndlr) ?
Que dire ? C’est une question difficile… Déjà que c’est bien qu’un joueur comme Killian Mbappé reste en ligue 1. C’est surtout ça qui est important selon moi. Après, je ne suis pas dans le secret des dieux et je n’ai pas envie de faire des commentaires comme au café du commerce. Le fait est qu’un des meilleurs joueurs du monde, français qui plus est, décide de rester encore plusieurs années dans le championnat de France. C’est une bonne chose pour le Paris Saint Germain. C’est une bonne chose pour la Ligue 1. Autant sur le plan sportif que sur le plan de la visibilité. On espère maintenant que ce choix s’avèrera être le bon pour lui sur un plan purement sportif. Après, je n’ai pas grand-chose d’autre à dire sur ce sujet. Je ne veux pas parler sans savoir. Tout le monde donne son avis et je ne veux pas être une opinion supplémentaire.
Vous expliquez dans le livre qu’une des spécificités du rôle de cadre dirigeant dans le football professionnel, c’est le fait d’être très tributaire de résultats qu’on ne maîtrise pas totalement. Est-ce qu’il n’y a pas un parallèle avec le monde de l’entreprise classique où l’on peut faire son travail de la meilleure des manières possibles, faire de bons choix stratégiques et être aussi tributaire d’éléments non maitrisables ? Comme certaines entreprises impactées en ce moment par la guerre en Ukraine, par exemple.
Ce que vous mettez en avant, c’est que dans tout ce que l’on fait, que ce soit dans le domaine professionnel ou personnel d’ailleurs, il y a des choix. Ces choix sont validés ou non par des résultats. Mais le fait d’être validés ou pas par les résultats ne signifie pas que les choix sont bons ou mauvais. Il faut également une part de réussite par rapport au contexte dans lequel on évolue. On le voit en ce moment avec la guerre en Ukraine que vous citez en exemple. On l’a aussi vu récemment avec le covid où certains secteurs ont même réussi à sortir gagnants.
C’est quelque chose qui se produit régulièrement. On fait des choix qui semblent être les bons qui ne traduisent pas par une performance. Et inversement des choix qui sont théoriquement mauvais mais qui aboutissent au résultat recherché parce qu’une part de réussite est toujours nécessaire dans la vie.
Par contre, je crois vraiment que, sur la durée, si on met en place une organisation correcte, si on travaille correctement, on finit toujours par tendre vers la performance à un moment. Mais sur la durée uniquement, pas à très court terme. Il faut parfois savoir faire le dos rond dans un premier temps.
Ce qui ressort en premier lieu de votre livre, je trouve, c’est que la principale qualité d’un dirigeant de club de foot professionnel, c’est la lucidité. Le fait de ne pas céder à l’émotion, même si le sport en procure beaucoup, et de savoir raison garder.
Les émotions font partie du secteur. Donc je pense qu’il faut le vivre avec émotion. Par contre, dans la prise de décision, il faut être le plus lucide possible. Mais je parle bien de la prise de décision. Parce qu’effectivement, il y a beaucoup d’émotion dans le foot. Et si on prend une décision sur le coup de l’émotion, c’est là qu’on peut se tromper.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas vivre les émotions. Parce que le secteur en procure beaucoup. Et un dirigeant qui vivrait ça de manière trop froide, je pense qu’il lui manquerait quelque chose dans les relations humaines. Parce qu’être connecté avec son territoire, avec l’environnement du club, les supporters, les joueurs ou les salariés, nécessite des émotions. Mais dans la prise de décision, c’est là où il faut être le plus froid et lucide possible. Parce qu’il ne faut surtout pas se faire influencer par un environnement qui peut pousser à prendre des décisions basées sur l’émotion plus que sur la réflexion.
Concernant la prise de décision, vous parlez dans le livre de la gestion du mercato en expliquant que, pour vous, un mercato réussi, ça passe par l’élaboration d’une feuille de route précise et la capacité à s’y tenir. A l’inverse, par exemple, de ce qu’on peut voir dans le documentaire Sunderland ‘til I die sur Netflix.
Je n’ai pas envie de faire le donneur de leçons. Par contre, c’est vrai que je crois beaucoup à la notion de feuille de route établie au mois de mai-juin, avant le démarrage du mercato. Parce que c’est un moment de calme, où l’on est lucide et moins soumis à l’émotion. On peut donc mettre tous les responsables concernés autour de la table pour rédiger un plan d’action et, surtout s’assurer qu’on est tous alignés. Quand je dis on, je parle de la gouvernance du club, c’est-à-dire le président, le directeur sportif, l’entraîneur et le directeur général.
Ensuite une fois que le mercato démarre, il y a plusieurs éléments qui peuvent impacter son déroulement. Par exemple, on peut échouer à recruter les joueurs ciblés. Et donc, par crainte, on peut finir par se rabattre sur un joueur peut-être aussi bon, mais qui ne sera pas forcément du profil ciblé. Donc, là, il faut parfois avoir la lucidité de se dire qu’il vaut mieux ne pas recruter de joueur plutôt qu’un joueur d’un profil qui n’était pas dans les profils ciblés. Un autre exemple, c’est le fait que, si la saison démarre mal, on peut être tenté de faire des recrutements non prévus à l’origine parce qu’on va tout remettre en cause dans l’urgence sous le coup de l’émotion. Et a contrario, un début de saison supérieur aux objectifs peut finalement pousser les dirigeants à ne pas recruter, y compris sur des postes pourtant ciblés sur la feuille de route d’origine.
Je pense que tout est une question d’équilibre. Bien sûr, il y a toujours des imprévus que l’on ne peut pas maîtriser. Mais si vous êtes dans le respect de votre feuille de route, vous réussirez au moins sur deux points. Le premier, c’est le fait de rester lucide dans les moments de forte émotion, comme on parlait au début de l’interview. Le deuxième, c’est l’alignement des idées. Ce qui peut éviter les divergences de points de vue entre un entraîneur et un directeur sportif, par exemple. Parce que cette divergence de vues peut entraîner un manque de réactivité qui risque de vous faire perdre un joueur ciblé parce que d’autres clubs seront allés plus vite que vous. Elle peut aussi, même si le joueur est finalement recruté, amener à l’échec parce que le joueur ne sera pas dans les conditions optimales de performance s’il a l’impression de ne pas avoir été désiré.
Vous consacrez une bonne partie du livre à expliquer le plan d’action que vous avez mené pour passer au mieux la descente en Ligue 2. Est-ce que finalement une descente en Ligue 2 ne peut pas aussi être vue comme une occasion de réformer certaines choses dans le fonctionnement d’un club ? Notamment parce qu’elle est moins exposée que la Ligue 1 sur le plan médiatique.
D’abord il va tout de même de soi que nous aurions préféré ne pas descendre. Après, quand on vit un épisode pareil, qui est quand même générateur de plusieurs problèmes importants à résoudre, notamment sur le plan économique, il faut se projeter. Non pas se projeter dans la déception ou le fatalisme, mais dans les opportunités que cela peut aussi offrir.
Il faut d’abord savoir que nous avions décidé de ne licencier personne au sein du personnel administratif et commercial du club. C’était une volonté de ma part qui avait été validée par le propriétaire Loïc Féry. Ensuite, cela nous a aussi permis de mener divers chantiers. Comme le travail sur la taille de l’effectif. Cela nous a aussi permis de retravailler les bases de notre projet sportif. Pas seulement dans le but de viser une remontée rapide. Mais aussi avec l’idée de poser des fondations saines pour être prêt à se stabiliser en Ligue 1 le jour où on remonterait.
Vous expliquez notamment que la perte de chiffre d’affaires qu’a généré la descente vous a conduit à certains arbitrages qui peuvent parfois être douloureux. Mais les arbitrages d’attribution budgétaires supplémentaires au moment d’une remontée ne sont-ils pas aussi compliqués, finalement ?
C’est une problématique qui s’applique à tous les niveaux dans le football professionnel. Parce qu’on parle du cas d’une remontée en Ligue 1, mais elle existe aussi dans le cas d’un club qui se qualifie pour la première fois pour une coupe d’Europe, voire pour la ligue des champions qui peut accroitre significativement un budget.
Comme vous le dites justement, quand on remonte, c’est avec l’objectif de s’y stabiliser sur la durée. Mais en gardant en tête l’hypothèse d’une redescente qui nous oblige à ne pas se mettre dans la difficulté sur le plan financier. C’est là où la gestion d’un club de football rejoint celle de n’importe quelle entreprise. C’est-à-dire que vivre une année meilleure que d’habitude ne doit pas conduire à se relâcher sur la rigueur budgétaire au risque de se mettre ensuite en difficulté lors d’une année où les objectifs ne sont pas atteints. Et, a contrario, après une mauvaise année, il peut être intéressant de se remettre en question sur le plan de la gestion budgétaire en éliminant des dépenses dispensables. Mais il faut aussi se projeter sur du positif pour ne pas rentrer dans un cercle vicieux qui peut finir par rajouter du négatif au négatif. Je pense en fait que ça va au-delà de l’équation montée ou descente, qualification européenne ou pas… Et c’est quelque chose qu’il faut conserver dans toutes les entreprises. Ne pas se relâcher sur la gestion quand tout va bien. Et savoir quand même se projeter sur du positif et saisir des opportunités quand ça va mal. Il ne faut jamais oublier que gouverner, c’est prévoir. Même dans le football.
Vous parlez des changements d’entraîneurs en cours de saison quand les résultats ne vont pas. Et vous expliquez que le fameux « électrochoc » dont on entend parler dans les médias reste en fait très limité, au bout du compte.
Tout à fait. D’ailleurs, les explications que je donne dans le livre à ce sujet sont basées sur des études factuelles et chiffrées. Je pense qu’il faut être vigilant face aux effets d’annonce et face à la croyance qui veut qu’un changement d’entraîneur peut tout résoudre. En fait, je vois ça comme un ballon de baudruche qui gonflerait avec tout ce que les mauvais résultats amènent de négatif dans un club : l’ambiance, l’environnement médiatique… Et un changement d’entraîneur ne serait qu’un moyen de dégonfler ponctuellement le ballon, mais sans enrayer ce qui le fait gonfler jour après jour. Ce qui, de fait, va pousser à une reprise du gonflement après une courte période. Le changement d’entraîneur ne s’avère donc être qu’un placebo la plupart du temps. Et un placebo qui coûte très cher, de surcroit.
Après, je suis plus partisan d’une réflexion sur ce qui amène, ou pas, la performance, résultats ou pas. De comprendre s’il n’y a pas d’autres leviers qui peuvent être actionnés. Comme un travail sur la confiance ou la constitution de l’effectif. Par ailleurs, dans n’importe quelle entreprise, il est difficile d’emmener l’entreprise là où l’on veut si l’on change un cadre dirigeant tous les dix-huit mois. C’est pourtant la durée de vie moyenne d’un entraîneur de L1. On a parfois cette croyance selon laquelle on doit changer d’entraîneur régulièrement parce que son discours s’use ou que ses méthodes ne passent plus. Moi je crois plus en l’idée de cycles. Alors, oui, les cycles se terminent parfois et nécessitent alors un changement. Mais je trouve les cycles souvent trop courts. Et je ne trouve pas pertinent de les arrêter en cours de saison. Certains grands clubs gardent leurs entraîneurs sur la durée et performent. Il suffit de voir par exemple la rivalité sur plusieurs années entre Manchester City et Liverpool qui ont pourtant leurs entraîneurs depuis de nombreuses années.
Vous l’avez un peu effleuré dans la question que je vous ai posée sur le budget, mais vous développez dans le livre la réflexion sur l’intérêt de travailler avec un effectif limité en nombre. Notamment sur ce que ça permet en termes d’intégration des jeunes joueurs, mais aussi sur l’avantage que ça présente quant au fait de garder un effectif concerné sur la durée, car il y moins de joueurs avec un faible temps de jeu.
Oui, tout à fait. Le fait de travailler avec un effectif réduit présente de nombreux avantages. Dans tous les effectifs, vous avez un noyau dur. Qui va se partager la grosse majorité du temps de jeu. Ce noyau dur va être d’environ seize joueurs. Ensuite, vous avez les joueurs de complément. Et quand vous avez un effectif trop large, à cause d’un mercato mal géré par exemple, hé bien cela laisse moins de place pour les jeunes joueurs. Cela génère des états d’âme puisque les joueurs avec un faible temps de jeu sont plus nombreux. Ça complique la tâche de l’entraîneur parce que ça multiplie les combinaisons possibles.
Mais il y a pourtant de nombreuses croyances à ce sujet. Notamment celle qu’il faut un effectif plus étoffé si on joue une coupe d’Europe. Pourtant c’est rarement vrai chez les équipes qui performent sur le plan européen. Idem en Premier League qui est pourtant le championnat le plus serré, et bien on s’aperçoit que les effectifs y sont souvent plus limités en nombre qu’en L1.
Vous consacrez un chapitre important au projet de nouveau stade pour Lorient. Mais vous y allez à l’encontre de la doxa dominante en France qui est qu’il faudrait avoir les stades les plus grands possibles, comme on l’a beaucoup entendu pour les projets de nouveaux stades à l’Euro 2016. Alors que vous expliquez que, selon vous, un stade peut s’avérer être trop grand et que cela peut s’avérer pénalisant. On le voit avec le cas de Bordeaux qui descend en L2 avec un stade déjà surdimensionné pour la L1.
Pour moi, il y a trois éléments à respecter quand on construit un stade : l’accessibilité, la capacité et l’identité.
Déjà parce que si l’accessibilité du stade est compliquée, c’est un tue-l’amour. Parce que ça risque de décourager facilement quelqu’un qui a le choix entre aller au stade et rester chez soi à regarder le match en charentaises. Il faut donc tenir compte du temps de trajet vers le stade, de la facilité de parcours et des parkings. Construire un stade dans un endroit bien desservi par les transports en commun est un gros plus.
La capacité est importante aussi. Moi je suis plutôt partisan des stades à capacité réduite. Pour moi, il y a deux fausses croyances en la matière. La première, c’est qu’avoir un stade à taille raisonnable est souvent perçu comme un manque d’ambition. La deuxième, c’est croire qu’un stade à capacité réduite va obliger à augmenter les tarifs de billetterie. Pourtant avoir un stade trop grand a aussi de nombreux inconvénients. Déjà, ça coûte beaucoup plus cher à construire. Ensuite, comme cela peut être compliqué de remplir le stade, on a ensuite tendance à distribuer des invitations pour y parvenir. Mais en faisant ça, on manque de respect aux abonnés qui eux, paient le tarif normal. En clair, ça dévalue le produit pour parler en vocabulaire d’entreprise. Alors qu’un stade plus petit crée une meilleure atmosphère. Qu’une certaine rareté des billets en fait un peu « The place to be ». Et que les joueurs se sentent plus soutenus que si les tribunes sont à moitié vides. Un exemple que je trouve vraiment pertinent en L1, c’est celui du stade Brestois. Un stade très accessible, à taille humaine.
Et le dernier élément aussi que je trouve bien fait à Brest et que j’ai cité dans les éléments importants, c’est l’identité. Ce n’est pas un stade impersonnel que l’on pourrait trouver n’importe où. Il y a une vraie identité du club avec les couleurs ainsi que divers éléments qui rappellent le territoire et l’ancrage breton. Et c’est une troisième dimension que je trouve très importante.
Donc en résumé, accessibilité, capacité et identité me semblent être les trois points essentiels pour un projet de nouveau stade.
Vous parlez d’identité dans le livre et pas seulement pour le stade puisque vous parlez notamment du fait de travailler avec des traiteurs locaux. Est-ce que vous pensez que relier un club au tissu économique local est essentiel pour maintenir une identité ?
C’est quelque chose qui me semble essentiel, car ça crée du lien. Dans le domaine économique, certes, mais ça crée aussi du lien culturel. Un exemple qui me plaît beaucoup, c’est la salle de NBA des Brooklyn Nets. On y trouve un programme communautaire avec seulement des PME locales qui gèrent la restauration. Ça m’avait marqué parce que, même dans un championnat ultra-professionnel comme la NBA, le club arrive à créer du lien économique et culturel avec son territoire.
Pour revenir à Lorient, c’est une des initiatives que l’on a menées après la descente en Ligue 2. En collaborant avec des traiteurs locaux pour la mise en place de ce que l’on a appelé les « Corners du Moustoir » on a réussi à créer du lien avec les restaurateurs locaux et à diversifier l’offre de restauration au stade. Et ça fait partie de l’expérience quand on vient au stade. Avoir une offre de restauration identifiable avec des facteurs différenciant et d’identité.
Au sujet de l’identité du club, il me revient en tête l’exemple de Frédéric Hantz qui, en poste à Bastia, avait fait prendre des cours de langue corse aux joueurs pour les rattacher au territoire. Dans une région avec une identité aussi marquée que la Bretagne, c’est quelque chose que vous auriez pu faire aussi ?
C’est une bonne question, mais honnêtement, je ne pense pas. Je pense que ce serait un geste plus marketing qu’autre chose. Pour une raison simple, c’est que le breton n’est finalement que peu usité en Bretagne. Parce que ça se résume à une question : en quoi cela aurait-il permis aux joueurs de se rapprocher de la culture locale ? Je ne suis pas convaincu que ça aurait fonctionné. Par contre, bien connaître le territoire, son histoire et ses lieux marquants, je trouve ça plus important. Lorient est un grand port de pêche et a une histoire fortement marquée par la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Alors éventuellement leur dire qu’il existe une langue bretonne, leur en dire quelques mots sur ses particularités, pourquoi pas ? Mais aller jusqu’à leur imposer des cours, je ne crois pas que ça aurait été une bonne initiative. Je pense que ça n’aurait pas été assez authentique.
Quand on vend aux buvettes des spécialités locales, qui sont produites par des entreprises locales, on sait que c’est quelque chose dans lequel tout le monde peut mettre du sens. Mais est-ce que les joueurs auraient trouvé du sens à passer des heures en cours pour apprendre une langue qu’ils n’auraient jamais utilisée au quotidien ? Je ne crois pas.
Vous parlez de la création du département statistique du FC Lorient puisque vous en êtes à l’origine. On avait, sur livres de foot, évoqué le sujet avec Christophe Kuchly des dé-managers où l’on disait que l’un des problèmes de la data, c’est qu’elle génère énormément d’avis extrêmes dans un sens ou dans l’autre. Est-ce que votre principal travail n’a pas été de faire de la pédagogie sur l’utilité, y compris pour vous-même, d’un tel département ?
Tout à fait. Car c’est un apprentissage permanent et qu’il faut faire preuve de beaucoup d’humilité sur le sujet de la data. On en revient à ce que je vous ai dit plusieurs fois sur divers sujets, c’est une recherche d’équilibre. Celui qui dit qu’on peut aujourd’hui tout gérer avec de la data, je ne suis clairement pas d’accord. C’est un outil utile pour la prise de décision, mais pas plus. De la même manière que ceux qui disent que ça ne sert à rien et que le ressenti est le seul outil sont tout autant dans l’erreur. Mais je pense que, dans ce cas, il s’agit surtout de protection. Tout simplement parce qu’il y a une méconnaissance de l’outil et de ses possibilités. Et aussi une crainte de ne pas maîtriser l’outil, notamment parce qu’on parle de mathématiques. L’objectif, donc, était de faire que ça devienne culturel et que ce ne soit plus vu comme une menace. Il fallait faire comprendre l’intérêt d’une diversité des compétences et des outils utilisés. De la même manière qu’un data scientist aura beaucoup de mal à identifier certains comportements sur un terrain, un recruteur sera incapable de développer un algorithme d’analyse de datas sur Python. Le tout étant de faire en sorte que chacun amène sa compétence et que les gens travaillent entre eux en bonne entente sans mécanisme de protection et comprenne que la data n’est pas là pour juger mais pour accompagner au mieux la prise de décisions. Ça nécessite de prendre du temps et de faire preuve d’humilité. Ça nécessite par ailleurs d’être validé par toutes les parties prenantes, comme la cellule de recrutement, par exemple. Je ne crois pas à un service data imposé de force au secteur sportif par la direction générale du club. Cela ne peut être qu’une démarche collective. Ce qui implique que le recrutement des cadres du secteur sportif se fasse avec des profils déjà ouverts à l’idée de travailler avec la data.
Propos recueillis par Didier Guibelin