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ITW – Giovanni Privitera présente « 26 mai 1993 »

Votre avis sur ce livre ?

A l’occasion de la sortie du livre 26 mai 1993, publié aux éditions The Melmac Cat, nous avons eu l’occasion d’échanger avec l’auteur, Giovanni Privitera.

 

Comment t’es venue cette idée d’un roman qui prendrait place dans le cadre de la finale européenne victorieuse de l’OM en 1993 ?

Déjà, je suis passionné de foot depuis l’enfance. J’ai grandi avec un père qui était passionné comme mes trois grands frères. Et on regardait beaucoup de matchs. Et l’idée de la trame du livre a été la première à émerger, plus que le choix du match. C’est-à-dire, l’idée d’une famille de passionnés qui vit intensément un match important devant sa télé. Parce que c’est du vécu personnel. Les matchs de l’Italie que j’ai vécus avec mon père qui font partie des moments les plus forts que j’ai pu vivre avec lui et mes frères. Notamment pendant les coupes du monde ou les euros. Et puis d’une façon plus large, montrer une famille qui regarde un match, c’était pouvoir écrire sur tous les aspects de la passion du foot. La superstition, la folie… Parce que tout ça présente un aspect comique, aussi. C’était aussi ce que j’avais aimé traiter dans mon livre sur Luigi Alfano : la ruse, le vice…

Donc l’idée c’était plutôt ça. Montrer mon amour du foot et la folie que ça génère, y compris dans ses aspects les plus cocasses vus de l’extérieur.

 

Ton éditeur, lors de la conférence de presse de sortie du livre, l’a comparé à Nick Hornby dans Carton Jaune. C’est un auteur qui t’as inspiré ?

Non, puisque je ne l’ai jamais lu. Mais c’est forcément agréable d’entendre ça parce que c’est un auteur reconnu. Surtout que ça fait des années que je projette de le lire.

Après, même sans l’avoir lu, je pense que la coïncidence n’est pas complètement anodine. Parce qu’on vit la même passion. Donc il y a sans doute un lien émotionnel dans la manière de vivre la passion. Je suis italien, et Hornby est anglais. Mais il y a des points communs. Dans le côté religion quand on regarde un match important, la transmission père-fils…

 

Tu consacres beaucoup de place dans le livre aux rituels et superstitions d’avant match, comme l’oncle du narrateur qui fume une marque de cigarettes spécifique uniquement les soirs de matchs. C’était quelque chose qui te tenait vraiment à cœur ?

Oui. Quand j’étais enfant, surtout pendant les coupes du monde, il y avait une sorte de dimension spirituelle dans la passion avant les matchs. Je voulais tellement la victoire de l’Italie que ça passait par des prières, des superstitions… Que des rituels non rationnels. Ce n’était pas religieux. Je ne sais pas trop qui je priais, au fond.

Et il y avait un côté personnalisation du match. En mode « Si je fais ci ou ça, le match se déroulera comme ci ou comme ça. » Et c’est quelque chose qu’il me tenait à cœur de montrer dans le livre.

 

Il y a un chapitre du livre où le narrateur raconte qu’en jouant au foot dans la cour de son collège la veille de la finale, il finit par se bagarrer avec un autre élève après avoir crié « But de Jean-Pierre Papin » (ndlr, parti au Milan l’été précédent) juste après voir marqué un but. L’autre élève lui expliquant que Papin n’a plus sa place puisque dans le camp d’en face pour cette finale. C’est quelque chose qui t’inspire cette versatilité des supporters ?

Oui, mais paradoxalement, ce n’est pas systématique. Pour certains joueurs, il arrive parfois qu’il y ait une fidélité et de respect pour ce que le joueur en question a fait. Et ce respect dépasse l’infidélité. Après, ça dépend du contexte. Si Papin avait signé au PSG au lieu de signer au Milan, tout le monde l’aurait traité de Judas. Mais Milan, à l’époque, c’était le plus gros club européen. Donc ça relativisait le côté trahison.

C’est quand même inhérent au foot. Même si les transferts sont aujourd’hui nombreux et que les joueurs d’un seul club sont rarissimes. Donc c’est quelque chose qui est accepté plus facilement.

Après, concernant ce passage du récit, ça souligne aussi l’importance de Papin à l’OM, même après son départ. Moi, si je dois te citer un seul joueur de cette période, c’est forcément Papin qui sort. Surtout qu’il a été ballon d’or. C’est d’autant plus vrai que Papin lui-même raconte que des gens qui le croisent le félicitent parfois pour ce titre de champion d’Europe, alors qu’il avait joué la finale dans le camp d’en face.

 

Il y a un objet qui est traité dans le livre comme un personnage à part entière de la famille, c’est la télé. Qui est une télé de marque Panasonic que le père avait acheté deux ans plus tôt quand Panasonic était sponsor maillot de l’OM. Et pour insister sur son importance, tu la renommes à chaque fois par son nom complet en citant la couleur et le modèle.

C’est une figure littéraire pour impacter le lecteur et montrer à quel point cette télé est importante pour le narrateur de l’histoire. Donc je ne dis pas juste « la télé », mais « le téléviseur Panasonic Kergrist noir 51 cm ». Ça souligne l’importance de cette télé pour toute la famille. Elle a été payée cher et on est dans une famille pas très riche. Donc c’est un vrai sacrifice de faire cet achat. D’autant plus qu’elle prend de la place physiquement. Et aussi dans la narration puisque tout le monde est tourné vers elle les soirs de matchs. Surtout que toute la superstition est forcément aussi tournée vers elle. Elle est aussi prétexte à parler de Berlusconi, puisque c’est un homme de médias et un homme très puissant en Italie à l’époque, en plus d’être président du Milan.

Puis la télé permet aussi d’insister sur l’importance donnée aux matchs télévisés à l’époque. C’était très rare. Alors qu’aujourd’hui tu peux regarder tous les matchs de ligue des champions par exemple. Donc ça donnait lieu à des scènes intergénérationnelles importantes puisque les occasions de regarder un match étaient rares. Donc tout le monde regardait. Il y avait même une sorte d’unité nationale puisque la France entière regardait le même match.

Tu as pris comme narrateur de l’histoire le fils aîné de la famille qui regarde cette finale à la télé. As-tu pensé, comme certains écrivains, à changer plusieurs fois de narrateur au cours de l’histoire pour la faire vivre de plusieurs points de vue ?

Non. J’aurais pu le faire et ça aurait été légitime. Mais pour moi, prendre le fils avait l’avantage de ramener au rêve, à l’imaginaire autour du match, comme je l’ai vécu quand j’étais moi-même enfant. J’ai quand même choisi l’ainé parce que je voulais tout de même un enfant suffisamment âgé pour comprendre ce qu’il était en train de vivre. Mais ça aurait été une bonne idée je pense. C’est quelque chose qui se fait beaucoup au cinéma, par exemple, d’avoir la même histoire avec plusieurs angles.

 

Dans un chapitre, tu rapportes les discussions de la famille autour de Berlusconi et de l’anachronisme à la voir président d’un club historiquement de gauche alors qu’il vient du capitalisme sauvage. Jusqu’au moment où ils s’aperçoivent, un peu honteux, qu’on pourrait faire le même constat sur Tapie à l’OM. Ce chapitre en dit beaucoup sur le côté mauvaise foi du supportérisme en mode « oui mais nous, c’est pas pareil. »

Clairement. Mais une mauvaise foi assez ouvertement assumée au fond. Parce que dans le foot, beaucoup de gens qui essaient de ne pas être de mauvaise foi dans la vraie vie peuvent complètement lâcher les rênes dès qu’ils regardent un match. Moi le premier. Parce qu’être de mauvaise foi fait partie de la passion exagérée. Puis ce chapitre permettait de faire un peu d’histoire du foot sur ce qu’est le Milan, sur qui est Berlusconi et de faire un parallèle avec Tapie. Parce que cette époque, les années 80-90, c’est aussi l’avènement des gros financiers dans le foot. Comme Tapie et Berlusconi, mais aussi Lagardère au Matra Racing. Ça a toujours été un peu le cas, surtout en Italie. Mais dans les années 80, ça prend clairement une autre dimension. Qui va encore aller plus loin ensuite après l’arrêt Bosman.

Après, pour revenir sur l’idée de la mauvaise foi, elle est très présente dans le foot et surtout dans le supportérisme. Et ça m’amuse aussi. Dans la vie, je n’aime pas les tricheurs. Mais dans le foot, la ruse, le mensonge, la triche, la mauvaise foi, ça fait partie du jeu et des astuces de joueur. Un football trop honnête et aseptisé ne me plaît pas et c’est pareil pour le supportérisme. Le foot, c’est une passion partisane. Pour supporter un club, il faut en détester un ou plusieurs autres. Même si ça peut être conjoncturel en détestant le club que tu vas affronter à un instant T. C’est quelque chose que je vis pleinement. Je n’ai pas de scrupule à détester, même puissamment, un rival. Voire à souhaiter sa défaite avant la victoire de ma propre équipe. On peut le voir à Marseille aujourd’hui où les échecs européens du PSG version QSI génèrent des scènes de bonheur dans la ville.

 

Un autre aspect sur lequel tu insistes dans tes divers livres, c’est sur le côté vecteur de culture et de savoir que peut avoir le football. Là, ça prend la forme du narrateur qui utilise son encyclopédie Tout l’univers pour se renseigner à l’avance sur les villes et les pays où joue l’OM en coupe d’Europe.

C’est une sorte de tremplin pour apprendre. Parce qu’en partant seulement de la ville ou du pays où l’OM va jouer, il apprend beaucoup de choses qui y sont liées et se cultive donc par le biais du football.

Alors c’est une de mes marottes, en effet, de voir le foot comme un vecteur de curiosité intellectuelle. Moi j’ai commencé à écrire par le biais de mes études universitaires et la rédaction de ma thèse. Et j’ai mis du temps à arriver à écrire sur le foot. Parce qu’il y a aussi des barrières émotionnelles avec ce qui nous tient à cœur. Mais ce côté vecteur de curiosité intellectuelle fait que je n’ai jamais eu de difficulté à apprendre quand il s’agissait de foot. Donc apprendre sur divers pays quelle était la capitale, le drapeau ou pourquoi, éventuellement, la couleur du maillot n’était pas celle du drapeau… Je l’ai vécu. Et je crois que ça va un peu à l’encontre d’une marginalisation historique qui consiste à pointer souvent du doigt le foot comme opium du peuple ou sport de beaufs. Ça va mieux, mais ça reste encore. Parce que le foot a longtemps été rejeté par les élites et par les tenants de la culture académique. Mais le foot, ce n’est pas seulement onze mecs qui en affrontent onze autres sur un terrain. C’est aussi tout ce qu’il y a autour et qui dépasse le jeu lui-même. Au fond, les résultats ou le match en lui-même deviennent presque des prétextes. Le déplacements ou l’aspect communautaire des supporters prennent souvent le dessus sur le jeu.

Donc, oui, c’est peut-être ma principale marotte ce côté vecteur de culture. Mais c’est un message que je tiens à faire passer, même si la forme du message change d’un livre à un autre. Et d’une manière générale, au-delà du foot, il y a plein de vecteurs culturels possibles. La culture générale, c’est un tout. Et pas seulement la culture académique reconnue que l’on trouve dans les musées ou dans les concerts classiques.

 

La famille dans laquelle tu situes l’action est une famille d’origine italienne. Les deux amis du père du narrateur en partance pour la finale sont d’origines maghrébine pour l’un et espagnole pour l’autre. Toi-même tu es étranger vivant en France et tu as écrit un livre sur le sujet de l’immigration. Tu penses que c’est un sujet qui peut être traité de manière pertinente par le prisme du foot ?

Oui. Dans le livre, c’est un choix délibéré. Avec aussi le beau-frère portugais du père de famille avec qui il finit par se disputer pour OM-Benfica en 90. Puis l’action se situe à Marseille, une ville-monde avec des communautés arméniennes, comoriennes… Donc il y a clairement un parti-pris montrant l’universalité du foot et une certaine opposition au racisme. Sans forcément être une prise de position faite consciemment. C’est un peu un cliché ce que je vais dire, mais dans le foot il y a un langage universel. Même si je sais aussi qu’il y a déjà eu des histoires de racisme dans le foot et que je sais qu’il y en aura encore. Même chose pour Marseille, je reste lucide et je sais que le racisme y est aussi présent même si les diverses communautés cohabitent pacifiquement pour une large part..

Mais je défends clairement ce côté multiculturel du foot. Si j’ai travaillé et écrit sur le sujet de l’immigration, c’est aussi pour des convictions de tolérance et d’ouverture et je vois ça dans le foot. Le foot garde un potentiel fédérateur ou intégrateur. Et je défends cet aspect-là aussi.

Tes deux livres sur le foot ont jeté des ponts entre la France où tu vis depuis de nombreuses années et ton pays l’Italie. Celui sur Alfano parce qu’il parlait d’un footballeur immigré italien et le celui-ci parce que l’action se passe dans une famille d’origine italienne, dans un quartier et une ville très marqués par l’immigration italienne. Tu n’aurais pas envie, maintenant, d’écrire sur le foot en Italie ?

Alors oui. J’aurais pu le faire pour ce livre, d’ailleurs. Comme je te l’ai dit plus haut, l’idée de la trame du roman sur une famille qui vit des émotions collectives intenses devant un match important a émergé avant le choix du match lui-même. Et mes références personnelles sont plus dans le foot italien que français. J’aurais donc pu l’écrire en prenant pour cadre un grand match de l’équipe d’Italie, par exemple. La défaite en finale de coupe du monde 1994 avec le tir au but raté de Baggio aurait pu faire un bon cadre. Ou même le huitième contre le Nigéria où Baggio nous sauve à l’arrachée. Ou même la défaite historique contre l’Argentine de Maradona en 1990 à Naples. J’étais tout petit, mais ça avait été un drame familial chez nous.

Là, je n’ai pas de projet d’écriture sur le foot dans l’immédiat, mais ça pourrait être un sujet qui me tente, oui. Après, je suis parti d’une écriture plutôt sur la réflexion, puis sur le récit réel avec Alfano, puis sur le roman. Et allier le roman et le foot italien me plairait plutôt. Mais il y aura toujours forcément un peu d’Italie dans mes livres, quel que soit le sujet.

 

Entretien réalisé par Didier Guibelin

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