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ITW – Ludovic Lestrelin présente « Sociologie des supporters »

Votre avis sur ce livre ?

Pour la sortie du livre Sociologie des supporters, LDF a recueilli les propos de Ludovic Lestrelin, sociologue et auteur du livre.

 

Interview Ludovic Lestrelin

 

La première impression qui ressort à la lecture du livre, c’est que le projet était de faire une synthèse simple et concise de tous les travaux de sociologie sur le monde supporters en étant le plus exhaustif possible.

En fait, il y a un triple objectif qui correspond à trois lectorats différents. Le premier objectif, c’est de rendre accessible au grand public et aux publics non académiques l’état des savoirs sociologiques sur le sujet supporters. En quelque sorte, essayer de contribuer à éclairer ce sujet et réfléchir intelligemment aux enjeux qui l’entourent. Donc quand je parle de publics non académiques, cela peut-être de simples citoyens, des supporters eux-mêmes ou des professionnels qui sont en lien avec le sujet supporters comme des dirigeants de clubs, de fédérations, des dirigeants politiques ou des journalistes. Donc le premier objectif, c’est de rendre accessibles des savoirs accumulés par les sciences sociales depuis trente ou quarante ans sur le sujet supporters.

Après, il y a aussi un deuxième objectif qui est de faire le tri parmi tous les travaux. Et d’aider de jeunes chercheurs qui voudraient se familiariser avec cette littérature à se repérer. Offrir des repères pour distinguer les travaux qui ont fait date ou les auteurs clés. Donc vraiment un travail à destination d’étudiants ou de chercheurs qui voudraient se lancer dans un travail sur ce sujet-là.

Et, enfin, il y a un troisième et dernier objectif qui est de faire le point sur les connaissances en direction aussi des experts du sujet. Mettre un peu d’ordre et tracer les grandes perspectives afin de visualiser les points qui restent à approfondir et les zones d’ombre qui n’ont pas été explorées.

Donc un triple objectif qui rend l’équation pas si simple. Parce qu’il faut, autant que possible, être accessible aux personnes non initiées au langage sociologiques tout en gardant un niveau de rigueur indispensable pour s’adresser à des chercheurs.

 

Une autre impression que ressort de la sortie du livre, c’est que les chercheurs en sciences sociales se sont finalement intéressés assez tard à ce sujet-là. Les premières pratiques sociales du supportérisme remontent au début du vingtième siècle ou à l’entre-deux guerres. Mais les premiers travaux importants sur ce sujet, pour la France en tous cas, c’est Christian Bromberger dans la première moitié des années 1990.

Il faut déjà garder en tête que la sociologie du sport, de manière générale, est une branche assez récente de la sociologie. Si on se focalise ensuite sur le sujet spécifique des supporters ou même des publics de sport, c’est encore plus récent. Les années 1980 sont une période charnière pour les premiers travaux sur le sujet supporters. Les travaux de Bromberger ont initié une dynamique. Même si c’est surtout la sortie de son livre Le match de football qui a créé cette dynamique. Ce livre porte entre autres sur l’OM. Alors il l’a écrit avec l’aide de quelques collaborateurs, mais les chercheurs sont très peu nombreux à se saisir du sujet à cette époque. Il y a un autre sociologue qui se penche sur le sujet qui est Alain Ehrenberg. Mais lui le traite plutôt par le prisme de la violence ou du hooliganisme. Ce qui n’est pas un hasard, car cette problématique se pose vraiment dans ces années-là, notamment à partir de 1985 avec le drame du Heysel. Ce qui fait que le sujet supporters va être assez vite relié à un enjeu de connaissances autour de la violence. Et ce qui va créer un appel d’air sur ces sujets, ce sera justement la catastrophe du Heysel ou bien les divers incidents de l’époque. Même si ça va aussi identifier les supporters de football comme une population à problèmes. Et qui dit problèmes, dit nécessité d’apporter des solutions. Et pour cela, il faut avoir des connaissances, et donc faire de la recherche. Ce qui va permettre de débloquer des crédits. C’est peut-être moins vrai en France, mais plus dans certains pays européens où il y a une vraie nécessité de comprendre le phénomène hooligans comme en Angleterre ou en Belgique.

Mais tout ça pour dire que, oui, cette thématique de recherches est récente et ne remonte qu’à une trentaine ou quarantaine d’années. En France, il y a eu Christian Bromberger. Puis il y a eu d’autres chercheurs comme Williams Nuytens, Nicolas Hourcade ou moi-même qui sommes ce qu’on pourrait qualifier de deuxième génération.

Par ailleurs, ces dernières années, il n’y a pas eu énormément de nouveaux travaux sur ces sujets, en France en tous cas. Il y a eu quelques thèses, mais peu de chercheurs qui ont travaillé sur ces sujets-là.

 

Pour en venir au contenu du livre à proprement parler, tu mets beaucoup en avant le fait que l’on trouve toutes les classes sociales chez les supporters de football. A rebours de cette image de sport populaire que l’on prête souvent, certes non sans raison, au football.

Je crois que c’est un élément important. Il y a cette idée que le public de football serait un public appartenant majoritairement aux classes populaires. Alors que c’est socialement plus diversifié. Les publics de football ont, majoritairement, la même composition sociale que les villes où se trouvent les clubs. Ce qui fait la caractéristique du football, au cours de son histoire, c’est d’avoir été approprié par des groupes sociaux assez diversifiés. Et c’est un élément important d’aller à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues. Et de bien faire comprendre à des lecteurs moins familiers du sujet que, à la fois, le public de football est un public socialement diversifié et que par ailleurs, être supporter se décline sous des modalités variées. Parce qu’il peut y avoir un réductionnisme sur la composition du public en l’assimilant uniquement aux ouvriers et aux employés. Mais il peut y avoir un certain réductionnisme à assimiler tous les supporters à ceux qui sont debout et chantent dans les virages.

Il est important de saisir que les stades vont refléter une sociologie des villes où ils se trouvent. Même s’il faut comprendre aussi que les stades ne sont pas uniquement des miroirs de ces villes. Ils vont aussi être des lieux où s’inventent un certain nombre de choses. Des lieux qui vont créer des pratiques, des rites ou certaines normes de comportement.

 

Justement, au sujet de l’erreur qui est souvent faite de croire que les supporters se résument aux éléments les plus démonstratifs, à savoir les ultras. Alors que tu insistes bien, dans le livre, sur le fait que les abonnés de tribunes latérales, par exemple, sont eux aussi une composante des supporters.

C’est un schéma de pensée qui s’explique en partie par la place prise par le supportérisme ultras depuis une trentaine d’années. Les groupes ultras occupent aujourd’hui l’espace central du supportérisme organisé. Parce que ces groupes se sont constitués en associations qui peuvent être puissantes au sens qu’ils sont capables d‘agréger des adhérents très nombreux, parfois plusieurs milliers, ce qui n’est pas rien. Ces groupes, en plus, ont porté tout ce qu’on peut appeler la mise en ambiance et la sonorisation des stades et se sont érigés en coproducteurs du spectacle footballistique. Et, de fait, ils jouent aujourd’hui un rôle prépondérant. Mais, pour autant, il faut garder à l’esprit que l’on peut vivre le supportérisme selon des modalités diverses. Etre supporter, ce n’est pas seulement faire partie de ces groupes organisés qui sont engagés dans un soutien, à la fois corporel, vocal et très démonstratif.

On a assez vite tendance à ne retenir que les figures les plus démonstratives et les plus visibles. Y compris chez les chercheurs qui peuvent parfois tomber dans ce type de pièges. Parce qu’on voit bien que beaucoup de travaux sur les supporters ne portent que sur les formes les plus démonstratives voire radicales et jusqu’au-boutistes. Et ce, au détriment de formes beaucoup plus ordinaires de soutien. Formes certes moins spectaculaires, mais, pour autant, qui concernent l’immense majorité des publics de football. Et c’est aussi une tendance vis-à-vis de laquelle les chercheurs doivent être vigilants. Ne pas retenir uniquement les formes les plus spectaculaires de soutien. Il y a des formes beaucoup plus discrètes qui concernent énormément de gens. Et ce ne sont pas des formes dévaluées de supportérisme, quoi qu’en disent certains groupes ultras. Et c’est une très mauvaise chose pour les chercheurs que de reprendre à leur compte des jugements de valeur qui existent effectivement chez les supporters. Car si le chercheur ne fait que reprendre les débats et jugements de valeurs qui traversent un univers qu’il prétend étudier, il fait une erreur. Il doit veiller à s’extraire de ces discours normatifs pour essayer de poser un regard plus distancié avec un recul analytique.

Un exemple très illustratif de cet état de fait, c’est le peu de place laissée dans les travaux de recherche aux supporters qui vivent leur passion par le biais de la télévision.

 

Tu consacres une partie importante du livre à ce que tu qualifies de pratique sociale du stade. Comme le fait de se retrouver au bar avant le match ou d’aller au stade en groupe d’amis ou en famille. C’est un sujet que tu trouves vraiment important ?

Oui, je trouve. Les pratiques qui entourent le match en lui-même, ce qui se joue pendant, avant et après, c’est une forme d’engagement spécifique et global qui transcende la simple présence en tribune pendant la rencontre. Je trouve que c’est important à plusieurs titres parce que se pose déjà une question toute simple : que font les gens avant d’arriver au stade ? Quand on a soi-même expérimenté la chose, on voit bien à quoi ça peut ressembler. Mais ça a du sens de suivre le cheminement des supporters depuis leur point de départ, observer ce temps-là. Ce que montrent bien ces travaux, par exemple, c’est à quel point la venue au stade est quelque chose de collectif. Par petits groupes, familiaux ou amicaux. Et ce n’est pas anodin. Car ça signifie que des comportements de groupe se constituent avant même la venue au stade et que l’entrée au stade se fait collectivement et que le comportement individuel s’ajuste par rapport au collectif. Que l’on peut être initié, si on ne connaît pas, aux repères sur les normes de comportement dans un stade. De la même façon, regarder les pratiques sociales à l’intérieur du stade permet de voir que l’attention au match lui-même peut être relativement fluctuante. Il y a une sorte d’oscillation entre l’engagement total dans la performance et puis parfois des prises de recul avec un usage de l’humour ou une prise de distance par rapport à soi-même et à son comportement.

En fait, ça touche un enjeu pour le chercheur de faire de l’observation directe. De se mêler aux petits groupes ou aux groupes organisés et de scruter ce que font les gens. Je pense que c’est un élément fondamental. Ça permet, par exemple, de prendre le contrepied d’une image répandue du supporter uniquement absorbé par les enjeux sportifs et qui perdrait toute distance par rapport au spectacle. C’est beaucoup plus complexe que ça. Si on regarde plus finement, on constate, comme le dit Bromberger une oscillation, un engagement paradoxal. Une alternance entre investissement et prise de distance. Ça permet aussi d’avoir une vision plus fine de ce qui se joue.

Le supportérisme, c’est de la sociabilité. Et cette sociabilité se déploie dans des lieux diversifiés. Et c’est quelque chose à quoi je tiens, montrer qu’il existe un hors champ, en l’occurrence un hors stade, qui est tout aussi essentiel. Ça passe évidemment par des bars, des cafés, éventuellement le local associatif du groupe de supporters ou différents lieux de la ville. Cette sociabilité est fondamentale. Et les chercheurs doivent en scruter les différents espaces et ce qui s’y joue. Ne pas porter uniquement le regard sur ce qui se passe en tribunes.

 

Tu consacres une partie du livre aux phénomènes de violences dans les stades. Et tu vas à l’encontre de deux idées reçues. D’abord en expliquant que le phénomène est très ancien. Et ensuite en expliquant que, pendant l’entre-deux guerres, c’était plus fréquent au rugby qu’au foot.

C’est assez surprenant, mais c’est vrai. En fait, les matchs de rugby créent de nombreux désordres dans la période de l’entre-deux guerres. Et l’image social du public du rugby est bien plus négative que celle du public de football. Alors ça surprend aujourd’hui puisque les choses se sont complètement inversées. On sait que le comparatif est régulièrement fait entre les deux sports. Avec, dans le cas du rugby, le public qui est sensé se tenir correctement alors que le football serait le sport de tous les excès et de tous les débordements. Ça s’explique notamment par les drames épouvantables des années 1980 qui viennent complètement changer les représentations autour du football. Mais c’est vrai que dans les années 1920-1930, il y a des troubles autour des matchs de rugby. La presse s’en saisit et peut même être assez virulente sur le supporter de rugby qui est vu comme un homme du sud, irascible, chauvin et au sang chaud.

A cette période le football, s’accompagne aussi parfois de d’incivilités, voire parfois de jets de pierres ou d’envahissement de terrain. Mais il y a très peu d’affrontements entre supporters des deux camps. Tout simplement aussi parce que la pratique des déplacements n’est pas aussi répandue qu’aujourd’hui. Excepté lors de matchs entre clubs géographiquement proches. Mais on est pas du tout dans la configuration actuelle avec deux camps dans le stade.

Donc effectivement les désordres autour du football sont anciens. Même si les travaux socio-historiques montrent une transformation importante dans les années 1960-1970. Le profil de ceux qui commettent les désordres et les violences change. Et aussi le sens même de la violence évolue avec une violence plus organisée, plus préméditée. Une violence qui implique des hommes plutôt jeunes, parfois même très jeunes, et qui envisagent le match comme un moment d’affrontement physique. Soit avec les supporters adverses, soit avec les forces de l’ordre.

Après, concernant la comparaison avec le rugby qui peut surprendre. Il fait aussi se rappeler que le rugby s’est évertué à se construire comme un contre-modèle. Un sport complètement préservé des excès, et un refuge pour les gens qui savent se tenir.

 

Il y a aussi une partie du livre que tu consacres au lien entre clientélisation des supporters et sécurité dans les stades.

C’est une tendance très forte qui caractérise les vingt ou trente dernières années. D’abord en Angleterre. Puis ensuite dans d’autre pays européens. Ce sont deux tendances parallèles qui s’alimentent l’une et l’autre. D’abord un processus de marchandisation poussée d’un côté. Où effectivement le supporter va être identifié en premier lieu comme un client. Les dirigeants vont chercher à maximiser le temps passé dans l’enceinte sportive, enceintes qui ressemblent aujourd’hui à des bulles commerciales. Car qui dit maximisation du temps passé, dit logiquement consommation et recettes commerciales maximisées. Parallèlement à ça, développement des espaces à prestation : sièges VIP, loges… Espaces qui permettent de générer de gros revenus commerciaux.

A côté de ça, il faut en quelque sorte protéger le potentiel marchand du stade. Ce qui nécessité des dispositifs de sécurisation plus poussés. Avec le recours à diverses solutions technologiques. Mais aussi au principe de prévention situationnelle avec, par exemple, des stades pensés pour gérer les flux de public et sectorisés. Ainsi qu’un recours à la vidéo-surveillance.

Donc une double tendance parallèle, à la fois à la marchandisation et à la sectorisation. Tendance que l’on ne peut comprendre qu’en faisant un retour arrière. Ces tendances-là sont en effet des réponses à la décennie 1980 marquée par des troubles importants et même par des drames humains importants. Du coup, cette réponse politique, qui vient du plus haut-niveau de l’état, notamment en Angleterre, est de transformer profondément le spectacle du football en en faisant un spectacle familial, en sélectionnant la clientèle et en chassant des stades à la fois la classe ouvrière et les hooligans. En partant de toutes façons du principe que les seconds font partie de la première. En augmentant significativement les tarifs de billetterie et le confort du stade, l’idée est de cibler une clientèle différente sociologiquement et de transformer en profondeur le football. Car dans les années 1980, le football était vu comme une institution anglaise. Et son état de délabrement était vu comme une représentation de l’état de délabrement du pays. Donc il faut le transformer.

Et cette tendance qui s’affirme dans les années 1990 en Angleterre, s’exporte ensuite dans les autres pays européens sous des formes pas forcément identiques mais qui s’en rapprochent. Pour prendre le cas du football français, on voit bien à l’œuvre ce processus de sécurisation et de marchandisation du football. Mais on ne peut pas dire qu’on est sur un niveau de gentrification équivalent à l’Angleterre. Il y a une volonté claire de diversification des segments de clientèles. En offrant des prestations plus haut de gamme, par exemple. Mais on ne peut pas affirmer non plus qu’il y a un processus qui amène à pousser dehors les publics les plus modestes. A part peut-être au PSG, éventuellement, même si aucun chiffre ne permet de l’affirmer formellement. Mais c’est très probable puisqu’on est sur une politique tarifaire très forte assumée. Dans l‘une des rares enquêtes quantitatives menées en France récemment, qui a été faite par Manuel Schotté  au sein du public de Lille (enquête citée dans son livre La valeur du footballeur, ndr), on peut constater une certaine tendance à l’élévation sociale du public Lillois juste après l’entrée dans le nouveau stade. Selon son enquête, on voit de plus en plus de représentants des classes moyennes, des professions libérales ou des cadres. Il y a quand même encore une présence d’employés et d’ouvriers. L’hypothèse que fait l’auteur, c’est qu’on se trouve probablement en présence d’enfants issus des classes populaires qui se sont ensuite trouvés dans une trajectoire sociale ascendante mais qui continuent à venir au stade suite à une passion du football née dans leur famille. Mais il y a assez peu d’enquêtes quantitatives qui donnent une vision précise de l’ensemble des clubs français.

 

Tu consacres aussi une autre partie du livre aux supporters suivant leur équipe à la télévision. Sujet important pour toi puisque tu as, en plus, écrit un livre sur le thème des supporters à distance, ceux de l’OM en l’occurrence.

Il y a deux choses qui peuvent expliquer la timidité des travaux sur le sujet. La première, dont on parlait tout à l’heure, c’est cette idée qui reste ancrée que le supportérisme à la télé serait une forme moins noble de supportérisme. Donc beaucoup de chercheurs ne se sont pas portés sur ces pratiques-là. La seconde, c’est une difficulté d’ordre méthodologique liée aux problèmes que ça pose. C’est plus facile d’aller faire des enquêtes et des observations au stade que chez les gens. Alors, ça reste tout de même compliqué, mais ça peut sembler plus aisé. Déjà parce qu’on sait où est le stade. Alors qu’enquêter sur les supporters qui regardent le match à la télé, ça implique de travailler sur son propre réseau amical ou familial. Et c’est d’ailleurs un écueil rencontré par tous les chercheurs qui travaillent sur le sujet de la télévision. Il paraît difficile de demander à une famille que l’on ne connaît pas de venir regarder la télé avec eux. Parce que le risque c’est de perturber la vie habituelle de cette famille. Une autre solution, c’est éventuellement de profiter des grandes compétitions qui favorisent les retransmissions dans les bars, ou sur des écrans géants publics dans les grandes villes. Mais ce n’est pas la même chose que de regarder son match chez soi, surtout comparé à un passionné qui regarde son match de championnat chaque semaine. Même si, dans les bars, on peut aussi aller observer les retransmissions de matchs de championnat. C’était d’ailleurs ce que j’avais fait lors d’un de mes tous premiers travaux de recherche quand j’étais en maîtrise. Et, comme au stade, on observe les pratiques sociales qui se jouent à cette occasion. Mais oui, je pense que ce sont les raisons qui expliquent qu’il n’y a pas tant de travaux que ça, du moins en France, qui traient le sujet sous cet angle-là.

Or, évidemment, l’essor des transmissions télévisées est quelque chose de fondamental qui caractérise les vingt ou trente dernières années. Et effectivement, cela contribue à alimenter le sujet sur lequel j’ai travaillé des supporters à distance. C’est-à-dire un découplage entre la localisation des clubs et la localisation du public qui les suit. C’est quelque chose qui se déploie à l’échelle nationale. Encore aujourd’hui, le public de l’Olympique de Marseille ne se résume pas uniquement aux gens qui se rendent au stade vélodrome tous les quinze jours. Ça reste un club extrêmement suivi hors de sa région. D’ailleurs, les diffuseurs ne s’y trompent pas. On a encore pu le voir lors de la dernière journée de championnat avec le match Marseille-Troyes (joué le 16 avril, l’entretien ayant été réalisé le 18, ndr), une affiche pas forcément clinquante pourtant diffusée sur Prime vidéo un dimanche soir. Il y a même une dimension internationale puisqu’on voit que les clubs de premier league sont très suivis en Asie par exemple. Ça a des effets sur les stratégies commerciales des clubs ou sur certains choix stratégiques opérés par les dirigeants des ligues professionnelles. Cela a même des effets au sein du public local qui peut parfois avoir, non sans raison, l’impression que leurs dirigeants privilégient le public extra-local parce qu’il peut être générateur de revenus plus importants. On peut voir ça au FC Barcelone ou à Liverpool qui sont des marques mondiales.

Il y a des transformations profondes des modes de suivi ou de consommation du football qui va dans le sens de cette distanciation géographique de plus en plus importante entre les clubs et leur public. C’est une problématique centrale dans la transformation de l’économie du football.

 

Propos recueillis par Didier Guibelin

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