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ITW – Marcelin Chamoin présente « Primeira Bola »

Votre avis sur ce livre ?

 

 

Quand on entend parler des débuts du football au Brésil, il ressort toujours systématiquement le nom de Charles Miller. Mais dans ton livre, tu parles aussi beaucoup d’un autre personnage que tu considères comme tout aussi important qui est Oscar Cox.

Oscar Cox a fait à Rio la même chose que Charles Miller à Sao Paulo. On parle plus de Charles Miller parce qu’il a introduit le foot à Sao Paulo un peu avant Oscar Cox à Rio et qu’il peut donc être considéré comme le tout premier à avoir introduit le football au Brésil. Mais sinon, les deux ont vécu la même histoire chacun de leur côté : découverte du football en partant faire leurs études en Europe. En Angleterre pour Miller, et en Suisse pour Cox. Puis ils ont chacun dans leur ville implanté le football à leur retour.

 

A partir de là, le foot va se développer dans les communautés de riches immigrés et être ouvertement interdit aux autochtones.

Ce sont vraiment les étrangers qui vont apporter le foot et créer des clubs pour jouer entre eux. Les anglais d’un côté, les allemands de l’autre, les italiens… D’ailleurs, les clubs sont communautaires et les différentes nationalités ne se mélangent pas. Et en effet, les brésiliens sont d’abord exclus. Mais rapidement, ils vont tout de même réussir eux aussi à jouer avec notamment la création du Paulistano à Sao Paulo qui est le premier club sans lien avec une communauté immigrée.

 

D’ailleurs, ton livre casse un cliché sur le foot brésilien qui, vu d’Europe, passe pour le sport des favelas et des pauvres. Alors qu’à l’origine, le milieu du foot brésilien souffre d’un vrai racisme social et ne tolère que les riches.

Il faut déjà prendre en compte le fait que le football arrive en 1894. Soit seulement six ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil qui a eu lieu en 1888. Ce fût d’ailleurs le dernier pays d’Amérique à l’avoir aboli. En plus, dans une ville comme Rio, il y avait énormément d’esclaves. Donc il y a une vraie séparation sociale et il est impensable pour les riches que les pauvres jouent au foot. Et c’est le professionnalisme qui va permettre aux pauvres de jouer.

 

Par contre, bizarrement, dans ce football de communautés immigrées au sein d’un pays lusophone, il y a très peu de clubs de communauté portugaise.

Il y en a assez peu, c’est vrai. Il y a deux clubs appelés Portuguesa, un à Sao Paulo, l’autre à Santos. Et il y a Vasco de Gama à Rio, même si les joueurs ne sont pas exclusivement portugais. Mais c’est vrai que, dans les débuts, c’était d’abord les anglais puis surtout les allemands, et les italiens ensuite. Après, il faut aussi garder en tête que l’élite économique et sociale était plus au sein des communautés anglaises et allemandes. Les immigrés portugais appartenaient plutôt au prolétariat. Et comme le foot était surtout le sport des riches…

 


Retrouver le livre « Primeira Bola »


 

Vu d’Europe, le football brésilien apparaît comme le leader en Amérique du sud. Pourtant, il ressort de ton livre que les deux leaders de l’époque sont l’Argentine et surtout l’Uruguay.

A l’époque de l’amateurisme, c’est en effet l’Uruguay qui domine avec l’Argentine. Le Brésil est clairement troisième et loin derrière les deux autres. La seule compétition remportée par le Brésil à cette époque est d’ailleurs le championnat sud-américain remporté à domicile. Même au niveau des clubs l’Argentine et l’Uruguay sont plus développés. Peut-être aussi tout simplement parce que le football arrive plus tôt dans ces pays qu’au Brésil. Ce sport a été majoritairement diffusé par les anglais et ils étaient plus nombreux en Argentine et en Uruguay qu’au Brésil.

 

Un autre cliché que ton livre démonte, c’est le fait que le jeu est très violent dans les années 20. Alors que dans l’imaginaire collectif, le Brésil est le pays du joga bonito.

Il faut savoir qu’il y a déjà une violence importante dans la société brésilienne de l’époque, notamment dans les rapports entre joueurs. Mais oui, le foot était violent. D’ailleurs, cette violence était un argument utilisé par la haute société pour justifier le fait que les pauvres ne puissent pas jouer. En prétextant qu’ils ne sauraient pas répondre de façon appropriée à cette violence et allaient se battre entre eux sans respecter les règles.  Et d’une manière générale, le foot n’avait pas énormément de différence avec le rugby à l’époque avec énormément de contacts et de coups.

Ceci dit, la particularité du jeu plus fin au Brésil arrive assez rapidement malgré tout. Avant même l’arrivée de noirs en sélection. Alors que l’idée répandue est souvent celle d’un joga bonito inspiré uniquement par les noirs et les pauvres. Pourtant, dès cette époque-là, des joueurs comme Hamilcar ou Friedenreich étaient des dribbleurs. Donc, déjà les brésiliens de distinguent sur un plan stylistique. D’ailleurs, je cite un chroniqueur de l’époque dans le livre qui dit que le football joué par les brésiliens se démarque clairement de celui des anglais.

 

Cette évolution, on la constate surtout au moment de championnat sud-américain remporté à domicile par le Brésil en 1919 d’ailleurs, non ?

Je pense même que, d’une manière plus large, 1919 peut être considéré comme la vraie naissance du football au Brésil. Lors de la première édition de ce championnat organisée en 1916, ce sont vraiment l’Argentine et l’Uruguay qui dominent. Et cette compétition va alors vraiment permettre au Brésil de s’imposer comme une nation de football. Notamment parce qu’à Rio, il y a un engouement qui monte clairement match après match que ce soit au stade ou même dans la ville. Et la victoire va être célébrée comme une vraie victoire nationale dans tout le pays. La comparaison est peut-être un peu limite mais, d’une certaine manière, 1919 est au Brésil un peu ce que 1998 a été pour la France avec une victoire importante qui permet au foot de s’inscrire vraiment dans la culture du pays.

 

Un autre aspect intéressant de ton livre, c’est de voir à quel point la rivalité entre Rio et Sao Paulo, notamment à travers le championnat des sélections régionales, plombe quasiment la seleção au début.

C’est surtout criant en 1930 puisque Friedenreich n’a pas pu y participer à cause de ça. Mais c’est vrai que, dès la création de la fédération brésilienne, les paulistes voulaient qu’elle s’installe à Sao Paulo et les cariocas à Rio. Les convocations des joueurs d’un état ou de l’autre en sélection est aussi problématique. D’ailleurs, une anecdote illustre bien cela. En 1930, à cause des rivalités entre régions, il n’y a que des joueurs de Rio qui jouent la coupe du monde. Et à Sao Paulo, l’élimination du Brésil est fêtée ouvertement.

En plus, à l’époque, il n’y a que les championnats d’états et un championnat inter-états avec des sélections des meilleurs joueurs. Alors certes, toutes les régions du Brésil sont représentées, mais Rio et Sao Paulo sont tellement loin devant que toutes les éditions se jouent exclusivement entre eux. Et les joueurs appelés en seleção sont soit des cariocas, soit des paulistes, soit des joueurs venus d’autres régions qui vont intégrer les clubs de ces états. Il faut savoir que le premier joueur convoqué pour une coupe du monde venant d’un club hors de ces deux états n’arrivera qu’à la coupe du monde 1950.

 

Dans la dernière partie du livre, tu parles surtout d’un aspect important : le passage de l’amateurisme marron au professionnalisme pour cesser la fuite des talents qui quittent le Brésil pour des pays où le football est déjà professionnel.

Il faut savoir que, si les clubs étaient contre le professionnalisme, ce n’était pas tellement pour ne pas payer les joueurs puisque certains touchaient déjà de l’argent sous le manteau pour jouer. C’est surtout parce qu’ils craignaient que ça ne permette aux pauvres de pouvoir jouer puisqu’ils pourraient alors gagner leur vie en jouant. C’est à cause de ça que le professionnalisme tarde autant à s’installer de manière officielle parce que c’est la porte d’entrée du prolétariat sur le foot ce qui est inacceptable pour les grands propriétaires. Et le professionnalisme arrive par contrainte. D’autres pays l’ayant déjà adopté, notamment l’Argentine et l’Uruguay, les meilleurs joueurs brésiliens signent dans les clubs de ces pays et quittent le Brésil. Puis certains partent ensuite vers l’Italie et l’Espagne. Et les élites sociales finissent par accepter le professionnalisme sous la contrainte, pour ne pas perdre leurs meilleurs joueurs.

 

Au final, le joueur le plus important de ton livre et de cette époque, c’est Arthur Friedenreich. On a l’impression qu’il est au football Brésilien, et même sud-américain, ce que Sindelar est au foot européen. Le joueur légendaire dont il ne reste aucune trace vidéo et très peu de photos et dont le souvenir se transmet quasi uniquement par l’oral et l’écrit.

C’est le joueur mythique de la période. C’est d’ailleurs pour cela que je voulais que le livre soit préfacé par son biographe. Avec l’histoire personnelle de Friedenreich, tu peux quasiment refaire toute l’histoire du foot amateur au Brésil. Puisqu’il commence en 1912 et prend sa retraite en 1935. En plus, c’est un pionnier, puisqu’il il est de la première tournée à l’étranger et de la première en Europe. Il est là dès les débuts de la seleção, il est là lors du titre de 1919… Donc, c’est le joueur marquant de la période. Ensuite sont venus Leonidas et Pelé.

 

Propos recueillis par Didier Guibelin

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