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ITW – Marcelin Chamoin présente « Garrincha »

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ITW – Marcelin Chamoin présente « Garrincha »

A l’occasion de la sortie de Garrincha, Livres de foot a échanger avec Marcelin Chamoin, l’auteur du premier livre publié par Lucarne Opposée. Voici la retranscription.

Garrincha est un des plus grands joueurs de l’histoire, mais il est assez méconnu aujourd’hui, finalement. Tu penses que le fait qu’il ait été au sommet avant la généralisation de la TV y est pour quelque chose ?

Je ne sais pas. Même si c’est vrai qu’il est assez méconnu, je suis d’accord avec toi. En France, la connaissance qu’on a de lui se limite souvent à l’histoire de sa jambe plus courte que l’autre, la coupe du monde 1962 et sa triste fin dans le dénuement à cause de ses problèmes d’alcoolisme à seulement quarante-neuf ans. Mais c’est vrai que les gens ne connaissent finalement pas grand-chose de lui alors que c’est un des plus grands joueurs de l’histoire. Et c’est entre autres pour ça que j’ai voulu écrire cette biographie. Parce que je trouvais clairement qu’il y avait un manque en France.

Au Brésil, par contre, les documents à son sujet doivent pulluler vu son statut d’icône ?

En livres, pas tant que ça, en fait. Il y a bien la grosse biographie publiée par le journaliste brésilien Ruy Castro en 1995, mais pas beaucoup plus. Par contre, oui, il y a beaucoup de films ou de documentaires à son sujet. Et même si tu prends sa page Wikipédia en portugais, elle est relativement peu documentée.

Dans sa vie, la première surprise, c’est de voir à quel point sa carrière n’a tenu à rien. Il passe beaucoup d’essais dans des clubs pros qui le refusent et on a l’impression que lui-même n’en a pas plus envie que ça.

Il passe en effet des essais à São Cristovão, Vasco de Gama et Fluminense par le biais de son oncle qui lui permet de s’y présenter et il se décourage assez vite après ses échecs. Le fait d’habiter certes dans la province de Rio, mais dans un village éloigné de la ville qui rend les trajets compliqués n’aide pas non plus. Et même quand Arati, un joueur de Botafogo, lui obtient un essai qui s’avèrera décisif, il n’y va finalement qu’un an plus tard sous la pression de l’entraîneur de son club de village et de ses amis. Surtout qu’il devient père à ce moment-là. Donc au fond, il avait presque abandonné l’idée et se voyait vivre sa vie dans son village en alternant entre le foot avec ses amis et le bar.

Un autre aspect, c’est que sa carrière est assez courte en fait. En gros, ses années de gloire se concentrent entre 1956 et 1962.

Tu peux même dire à partir de 1957 avec la victoire de Botafogo dans le championnat carioca. Alors certes, sa première sélection avec le Brésil date de 1955, mais il ne devient vraiment célèbre au Brésil qu’à partir de la coupe du monde 1958. Et c’est vrai que son dernier gros match, c’est un match au Maracana en 1962 avec Botafogo contre le Santos de Pelé. Après, il continue encore quelques années, mais il n’y a plus de victoires significatives.

Un autre aspect que l’on ne soupçonne pas vraiment quand on connaît son statut d’icône, c’est le fait que sa relation avec la chanteuse Elza Soares avait déclenché un tel mouvement de haine au sein de la population brésilienne.

Je t’avoue que moi aussi, avant de lire la biographie écrite par Ruy Castro, je n’avais pas du tout cette image. Et je ne soupçonnais pas du tout l’impact que sa relation avec Elza Soares avait eu sur son rapport avec le public. Pour beaucoup de gens, elle était responsable de sa chute.
Mais c’est vrai que le surnom « la joie du peuple » est trompeur. Parce qu’il ne laisse pas soupçonner qu’il puisse y avoir autre chose qu’un lien très fort avec le peuple et les supporters, plus que Pelé par exemple. Et donc le fait qu’il ait été autant détesté à une certaine époque de sa vie est quelque chose qu’on peut difficilement soupçonner.

Tu parles d’ailleurs du contraste chez les supporters entre lui et Pelé. Il y a une phrase qui dit que Pelé était respecté et que Garrincha était aimé. Tu es d’accord avec ça ?

C’est tout à fait ça, selon moi. Pelé n’a pas du tout le même lien avec les gens que celui qu’avait Garrincha. Il était forcément respecté pour sa monstrueuse carrière, que ce soit avec Santos ou le Brésil, mais sans ce lien d’amour avec le peuple.

Une autre impression que me donne le livre, c’est celle d’une mauvaise conscience du Brésil vis-à-vis de Garrincha. Sa tombe est dans un cimetière paumé, le seul musée à sa gloire a été créé de bric et de broc dans son village, certains lieux marquants de sa vie ont été détruits… Comme si la population brésilienne cherchait à effacer sa déchéance dont elle se sentirait coupable.

Un petit peu, oui. Je pense qu’il y a un sentiment diffus d’embarras étant donné qu’entre la fin de sa carrière et sa mort, il a été laissé à l’abandon face à son alcoolisme. On s’est certes souvenu de lui après sa mort. Mais entre sa fin de carrière et sa mort, on l’avait quasiment oublié. Je pense aussi que le problème se situe surtout chez les dirigeants de Botafogo. Parce qu’on a profité de sa naïveté pour lui faire des mauvais contrats qui étaient assez malhonnêtes tout en le poussant à jouer blessé ce qui a clairement endommagé sa santé.

Concernant cette naïveté, j’ai l’impression qu’elle concourt en partie à cet amour reçu par le peuple brésilien. Parce que son côté grand enfant naïf qui pensait avant tout à s’amuser, que ce soit en jouant au foot ou en faisant la fête, semble correspondre à une image d’un brésil idéalisé.

Je pense que ça joue, en effet. Surtout chez les Cariocas. Parce que cette équipe de Botafogo était tellement incroyable qu’aller au Maracana, c’était une fête. De part sa façon de jouer et sa personnalité, il était clairement plus « du peuple » que n’importe quel autre joueur. Et je pense que ses imperfections, qu’elles soient mentales ou physiques, ont aussi participé à cette capacité du peuple à se reconnaître en lui.

Au-delà de l’histoire de Garrincha à proprement parler, le livre a aussi un côté « tableau d’une époque ». Tu y racontes notamment que Botafogo le ménageait sur des matchs officiels pour l’aligner sur des matchs-exhibitions amicaux. Aujourd’hui, ça paraît impensable…

Il est évident que le football a beaucoup changé depuis. Notamment parce qu’il faut se souvenir qu’à l’époque, il n’y avait pas de télé pour les matchs et donc que les clubs ne disposaient pas des revenus que celle-ci génère aujourd’hui. Donc les clubs devaient gagner de l’argent autrement. Et leur plus grosse source de revenus à l’époque, c’était la billetterie. Et ces matchs-là ainsi que les matchs de tournée étaient une grosse source d’argent. Par ailleurs, cela permettait aussi de donner une bonne image du Brésil à l’étranger. Surtout qu’en plus, sur les matchs joués à l’étranger, Botafogo recevait plus d’argent quand Garrincha jouait.
Un autre détail important, c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas vraiment de championnat du Brésil, donc les vrais championnats, c’était les championnats régionaux. Et le championnat carioca était très prestigieux.

D’ailleurs, le statut important des championnats régionaux aux yeux des Brésiliens est resté bien après cette époque. Jusqu’au milieu des années 80 environ. Parce que la formule du championnat brésilien était assez confuse et que certains championnats régionaux de cette époque ont marqué les esprits, comme le paulista en 1982 et 1983 avec les Corinthians de Socrates. Et même dans les années 90, certaines éditions de championnats régionaux ont plus marqué les esprits que le championnat national.

On dit parfois de George Best qu’il serait le plus grand joueur de l’histoire si l’alcool n’avait pas ravagé sa vie. Tu penses aussi que la carrière de Garrincha aurait été autrement meilleure sans ses problèmes d’alcoolisme ?

Ça fait partie de lui et de son personnage, donc ça me paraît difficile à imaginer. Cela a évidemment contribué à sa chute, même si sa carrière était déjà quasiment finie à trente ans.

Après, il faut prendre ça comme une part de son personnage qui était épris de liberté. Que ce soit dans son rapport à la fête et à l’alcool ou dans sa manière de jouer au foot parce qu’il n’était jamais aussi performant que quand on le laissait jouer librement. Alors cela l’a évidemment handicapé par certains aspects, parce qu’il ratait régulièrement des entraînements ou qu’il n’a pas forcément fait tout ce qu’il fallait pour éviter ses nombreuses blessures ou les soigner correctement. Mais je n’arrive clairement pas à imaginer un Garrincha sans ça.

 

Propos recueillis par Didier Guibelin

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