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ITW – Philippe Rodier présente « Les plus grands managers du sport se confient »

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ITW – Philippe Rodier présente « Les plus grands managers du sport se confient »

A l’occasion de la sortie de Les plus grands managers du sport se confient, Livres de foot a échanger avec Philippe Rodier, l’un des auteurs du livre. Voici la retranscription. 

Quand on lit tous les entretiens du livre, on a l’impression que les problématiques des coachs sont toutes les mêmes d’un sport à l’autre, même si c’est à des degrés divers. Vous utilisez d’ailleurs régulièrement des réflexions des managers qui vous ont donné les premiers entretiens pour faire réagir dans les entretiens suivants.

Quand on est partis sur le projet de rédaction de ce livre, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. On avait sélectionné des cibles potentielles, mais on ne savait pas ce qu’on allait avoir. On a donc fait les cinq premiers entretiens dès le départ en se disant qu’on verrait ce qu’il en ressortirait. Puis qu’on ferait une pause pour voir ce que l’on ferait ensuite. Et en effet, à partir de cette base de cinq entretiens, on s’est aperçus que les problèmes rencontrés sont souvent les mêmes, quelle que soit la discipline. Même si les solutions diffèrent. Donc on a posé des questions à Hervé Renard qui auraient pu aussi bien se retrouver dans un entretien sur la Formule 1. Mais ce qui est intéressant, c’est que les solutions vont différer parce que ce ne sont pas les mêmes disciplines. Un des exemples les plus intéressants, c’est celui de Claude Fauquet (ancien directeur des équipes de France de natation, ndlr) qui nous a expliqué que les nageurs devaient être gérés comme un collectif malgré le fait qu’il s’agisse d’un sport individuel.

 

Justement, dans le foot, on a beaucoup parlé de la gestion plus ou moins de joueurs hors-normes par rapport à leur statut dans l’équipe. Comme par exemple, Ibrahimovic ou Neymar au PSG. Vous avez interrogé des coachs de sports individuels qui managent des monstres de leur discipline comme Teddy Riner ou Martin Fourcade. Est-ce que tu penses que cela peut-être une réflexion intéressante en la matière ?

C’est une question intéressante, mais je ne pense pas, pour être honnête. Parce que les milieux diffèrent. Quel que soit le prestige d’un Fourcade ou d’un Riner, ils n’ont pas baigné dans un milieu aussi puéril que le football. Et dans un milieu autant baigné par l’argent puisque certains pensionnaires de centres de formation touchent des revenus déjà très supérieurs au français moyen. Tu as quand même des modifications de mentalités dans le foot qui sont assez prononcées. Donc je pense que tu peux t’appuyer sur certaines méthodes vues ailleurs, mais que ça reste limité. Surtout dans un contexte comme celui du PSG, par exemple, où le côté financier est exacerbé. On aurait d’ailleurs bien aimé avoir un coach du PSG pour le bouquin. Parce que c’est un cas vraiment intéressant dans les problématiques de management. C’est un cas tellement unique que tu n’as aucune référence sur laquelle t’appuyer. Tu ne peux te baser que sur ton expérience et ton vécu précédent en l’adaptant. C’est pour ça, par exemple, que pour moi, comparer Pochettino avec Emery et Tuchel est une erreur. Parce que Pochettino, a un vécu de joueur important qui lui donne une autre image vis-à-vis des joueurs, même si sa philosophie de coach peut être similaire.

C’est pour ça que, pour moi, le football reste un sport très particulier à manager. Parce que la composante financière est vraiment importante de ce point de vue. Marc Lièvremont nous disait que le rugby avait connu des problèmes similaires avec l’arrivée du professionnalisme dans le rugby. Et moi qui viens de l’e-sport, j’ai aussi vu la modification qu’a engendrée l’arrivée des salaires, dont certains importants, alors que les joueurs n’étaient pas rémunérés il y a seulement dix ans.

Par ailleurs, dans le cas du PSG, il y a une problématique de gestion de cette manne financière. On voit certains joueurs qui sont prolongés et augmentés tous les ans, ce qui les met dans un confort qui peut être néfaste à moyen ou long terme.

 

On constate depuis quelques années l’arrivée de spécialistes de domaines différents (préparation physique, mentale, nutrition…) dans le foot depuis quelques années, mais cela reste parfois regardé avec suspicion. Dans le livre, vous avez interrogé des managers de disciplines où c’est indispensable comme la formule un où il est impossible de travailler sans les ingénieurs ou bien le décathlon où chaque discipline nécessite les conseils d’un spécialiste. Le foot pourrait s’en inspirer, non ?

Je pense que oui, pour plusieurs sujets. Sur la préparation mentale, par exemple. Si on prend le cas des gardiens de but ou des attaquants de pointe, ce sont des postes où on est isolé. Il pourrait donc être intéressant de les faire échanger avec un boxeur ou un entraîneur de boxe, notamment concernant leur isolement sur les phases de coups de pied arrêtés où les gardiens, en plus d’être isolés, prennent beaucoup de coups. Donc cela pourrait être intéressant de les voir échanger sur la capacité à faire ressortir cette agressivité nécessaire en position isolée. C’était un débat qui avait eu lieu lors de l’arrivée d’Hugo Lloris à Tottenham : sa capacité à s’imposer en premier league où l’agressivité est plus importante qu’en ligue 1 et où on prend beaucoup de coups. Alors certes, il a réussi à s’imposer, mais ça n’a pas forcément été simple au début. Et je pense qu’un accompagnement mental équivalent à celui dont bénéficient beaucoup de boxeurs aurait pu l’aider à passer ce palier plus facilement. Tu as certains boxeurs qui sont des gentils dans la vie, mais à qui on apprend à laisser cette gentillesse au vestiaire une fois sur le ring parce qu’il faut cogner l’adversaire.

Sur l’aspect de la concentration, il peut y avoir aussi des passerelles intéressantes. Parce que le foot est un des sports où la concentration est la plus importante, voire totale. Je parlais avec Patrick Mouratoglou (entraîneur de la tenniswoman Serena Williams, ndlr) qui me disait que la concentration dans le foot c’est pareil que dans les autres sports. Mais je ne suis pas d’accord. Parce qu’au tennis, par exemple, tu n’es jamais dans le besoin de surveiller derrière toi comme au foot qui est un sport où tu dois avoir une concentration permanente sur ton environnement à 360 degrés. Et tu as des temps de repos assez longs, en plus. Paul Pogba, par exemple, explique que dans sa famille (deux de ses frères sont footballeurs professionnels, ndlr) ils sont tous très forts au ping-pong. Alors on peut en sourire, mais je pense que ce n’est pas anodin, tant le ping-pong, comme le badminton, est un sport où la concentration sur un objet à très haute vitesse pendant de longues séquences est importante.

Après, au niveau de la préparation physique, je ne sais pas. Baptiste Foriel (co-auteur du livre, ndlr), qui est très intéressé par l’interdisciplinarité te répondrait mieux que moi.

Mais pour en venir sur l’interdisciplinarité au sens large, l’exemple de Kevin Mayer est vraiment très intéressant. Je ne m’intéressais pas plus que ça à sa carrière avant de faire ce livre. Mais quand j’ai lu l’interview de son entraîneur, j’ai cherché à en savoir un peu plus. Et quand on voit comment il construit sa carrière, on ne peut pas être surpris de sa réussite au plus haut niveau. Parce qu’il est dans une démarche d’ouverture d’esprit qui est vraiment intéressante. Je pense qu’un manager qui n’a pas d’ouverture d’esprit à la nouveauté est mort. Et je pense que c’est intéressant pour un sportif dans sa recherche continue d’amélioration de la performance, même de manière simple. On peut, par exemple, citer Ronaldinho qui a amélioré son touché de balle en jonglant avec des balles de tennis.

 

Est-ce que tu n’as pas l’impression que la part managériale du travail n’est pas plus importante que les compétences techniques ? Notamment, avant même le management des athlètes, celui du staff technique ?

Sur ce thème, on peut citer Steve Hansen (ancien sélectionneur des All Blacks, champion du monde en 2015, et vice-champion comme adjoint en 2011, ndlr) qui disait que son rôle, c’est surtout de conduire le bus.

Ce que les gens ont en effet tendance à oublier, c’est qu’avant de penser à gérer tes athlètes, tu dois d’abord gérer ton staff. Parce que sans ton staff, tu es mort. Un exemple intéressant, c’est la mauvaise période de quelques années qu’a traversé José Mourinho après le départ de son adjoint Rui Faria. Parce que Mourinho, avec son côté parfois autoritaire et « bad cop » avec certains joueurs avait besoin de Rui Faria pour faire passer le message différemment en jouant le rôle du « good cop ».

Et tous les entraîneurs interrogés nous ont dit que c’était la clé de voûte de la réussite. Quand on met en avant les victoires du Liverpool de Jürgen Klopp, quelle que soient ses qualités d’entraîneur, on ne saurait nier que le board de Liverpool a su faire les choses intelligemment au niveau du recrutement. Même chose pour le passage de Klopp à Dortmund. Donc oui, la gestion du staff et des gens qui travaillent avec toi est au moins aussi importante que celle des sportifs eux-mêmes. Franck Azéma (manager général de Clermont en top 14, ndlr) nous expliquait qu’il est impossible de tout faire soi-même. Par contre, il est possible de tout superviser et coordonner. Mais pour cela, il faut avoir une confiance totale dans les gens avec qui tu travailles, encore plus que dans les joueurs. La plupart des managers avec qui j’ai pu discuter, pas seulement pour ce livre d’ailleurs, m’ont dit que le principal c’est de bien s’entourer.

C’est aussi important d’être coordonnés et de parler d’une seule voix. Si l’entraîneur quelque chose à un joueur et que son adjoint lui donne une version différente cinq minutes après, c’est pas l’adjoint qui perd la confiance du joueur, mais l’entraîneur principal. Un autre exemple intéressant dans le rugby en la matière, c’est ce qu’il se passe avec le XV de France depuis l’arrivée de Fabien Galthié, comme sélectionneur. Il n’y a pas que Fabien Galthié qui parle en conférence de presse, mais ça peut aussi être Raphaël Ibañez (manager du XV de France, ndlr) ou même ses adjoints quand cela touche à leur domaine spécifique.

Un autre exemple marquant en la matière, c’est Zidane au Real en ce moment. C’est compliqué pour lui parce qu’il sait que s’il chute, les anciens au sein du club veulent sa place. Cela empêche donc une relation de travail saine avec ces gens-là car il faut éviter que l’ennemi vienne de l’intérieur comme on dit dans l’armée.

 

Un autre aspect du management dans le foot, c’est que la profession d’entraîneur s’ouvre lentement depuis une vingtaine d’années aux entraîneurs issus de formations universitaires en sciences du sport plutôt que systématiquement aux anciens joueurs. Cela va à rebours des entreprises classiques où de nombreux recruteurs ne jurent que par la « diplomite suraiguë » et refusent de laisser leurs chances dans des fonctions managériales aux gens venus de la base.

Entièrement d’accord. Plus largement, en France, le problème n’est pas lié aux fonctions de managers, mais à la trop grande importance que l’on accorde aux études et aux diplômes dans l’acquisition de compétences. Sans diplôme important, tu n’es pas compétent aux yeux de certaines personnes. C’est quand même un problème parce que je ne pense pas que ça fonctionne comme ça dans tous les pays. On connaît tous la fameuse légende du rêve américain où tu arrives sans rien, tu rentres dans un restaurant et tu le rachètes trois ans plus tard. Alors sans aller jusque-là, il y a clairement un problème sur ce sujet en France.

J’ai donné une interview récemment au sujet de ce livre où l’on m’a demandé ce que je pensais de la jeune génération de coachs français. Sauf que je ne sais même pas qui c’est la jeune génération de coachs français. Alors la personne m’a répondu Julien Stephan et un autre dont je ne me souviens même plus. Donc on ne peut m’en citer que deux. Et Julien Stéphan, sans remettre en doute ses compétences, il faut rappeler que c’est le fils de l’adjoint de Didier Deschamps en équipe de France. Ce qui laisse penser, même s’il est compétent, qu’il a bénéficié de certains passe-droits. Donc en gros, la jeune génération des coachs français, je ne la connais pas. Et je ne suis pas surpris parce qu’on ne laisse que peu de gens tenter leur chance dans ce job. Déjà parce que le prix à payer pour l’acquisition des compétences est très lourd. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les jeunes qui veulent devenir entraîneurs partent en Asie ou en Afrique parce que l’accès au diplôme y est plus simple et moins cher. Et parce qu’en plus, les gens qui arrivent avec des idées nouvelles sont plus facilement acceptés.

Alors si on entend tous les jours sur RMC un Daniel Riolo critiquer le football français, ce n’est pas sans raison. Et une raison non négligeable, c’est clairement l’accès que l’on donne à la formation des coachs et l’ouverture aux idées nouvelles. Un concept comme la périodisation tactique, par exemple, on n’en parle sérieusement en France que depuis moins de dix ans alors que c’est un concept qui a au moins quinze ans puisque José Mourinho l’appliquait quand il a été champion d’Europe en 2004 avec le FC Porto.

Le souci, c’est qu’on a un mauvais rapport aux institutions et aux procédures qui finit par scléroser les choses. Un entraîneur français qui aurait triomphé sans diplôme à la tête d’un club étranger serait recalé pour entraîner en L1. C’est dingue.

Et on a aussi des problèmes avec les gens qui veulent nous apprendre des choses. Il suffit de voir comment Marcelo Bielsa a été traité par le monde du football français lors de son passage à l’OM. Tout un tas de gens se sont vexés de voir un gars venu de l’extérieur leur apprendre des trucs et remettre leurs certitudes en question. Et qui, aujourd’hui encore, passent leur temps à déblatérer sur ses résultats avec Leeds alors que son classement est honorable pour un promu. Même chose avec un Carlo Ancelotti, double vainqueur de la ligue des champions, qu’on a « obligé », à son arrivée en France, à se justifier sur le plateau du CFC face à Christophe Dugarry.

Et, pour en finir sur ta question de l’importance surdimensionnée accordée aux diplômes en France, c’est clairement un problème. Moi, j’ai arrêté mes études très jeune et pour intégrer une rédaction comme journaliste, j’en ai bavé. Même si on m’a donné ma chance par la suite, les parcours comme le mien restent une exception. Les recruteurs regardent juste si tu remplis des cases. Pas si tu peux amener quelque chose.

 

Dans l’interview de Mouratoglou, il y a un passage intéressant où il explique que ses crises d’énervement sur les arbitres peuvent lui être indispensables sur le plan psychologique car elles l’amènent au niveau d’agressivité nécessaire pour gagner. C’est intéressant quand on sait à quel point la contestation arbitrale pollue le monde du foot, non ?

Dans le foot, je pense que l’exemple de Zlatan est plus représentatif de ce que Mouratoglou voulait dire avec ces propos. Quand tu prends ses chamailleries récurrentes avec d’autres joueurs, tu vois qu’il a besoin de ces petits affrontements pour arriver à un degré de volonté suffisant pour performer.

Mouratoglou, pour être honnête, c’est l’entretien que j’ai préféré. Parce qu’on parle de quelqu’un qui a une expérience de vie hors normes. Même au-delà du sport. Pour revenir à ses propos auxquels tu fais allusion, il expliquait que McEnroe avait besoin de ça comme certains joueurs ont besoin d’être dans le chambrage ou dans le défi pour arriver à se donner les moyens pour gagner. Neymar, par exemple, essaie de s’inscrire dans cette logique, mais je pense qu’il n’est pas suffisamment fort au niveau du caractère pour résister ensuite à la pression que ça lui met sur les épaules. Ibrahimovic s’est rajouté énormément de pression en jouant avec ça. Et je pense que ses échecs récurrents en ligue des champions viennent du fait qu’il se rajoute peut-être un peu trop de pression. Mais je pense aussi qu’il a besoin de ça pour être performant. Mais pour en juger, il faut connaître la vie des gens et essayer de les comprendre. Si on continue avec l’exemple de Zlatan, de par son parcours et son enfance, on voit qu’il est dans le conflit en permanence et on ne pourra jamais lui retirer ça. Il faut le prendre comme il est, avec les inconvénients que ça suppose. Et l’un des points qui rendent intéressant le métier de coach, c’est justement de trouver les leviers pour arriver à dompter ce genre de caractères extrêmes. Et comme le disaient Mouratoglou ou même Alex Ferguson, tu dois apprendre à canaliser ce genre de caractères parce que tu ne pourrais jamais les changer.

À l’inverse, il y a parfois des polémiques sur le cas de joueurs considérés comme insuffisamment agressifs comme Raphael Varane. Surtout que, dans son cas, il est forcément comparé à Sergio Ramos qui, lui, est très agressif. Et de la même manière que Zlatan a besoin de sa part d’agressivité pour être performant, même si elle le dessert parfois, Varane a besoin de sa sérénité. C’était la même chose avec Paolo Maldini, par exemple.

D’une manière générale, et ça rejoint un peu ce que l’on disait dans les questions précédentes, certains coachs ont parfois tendance à considérer les caractères un peu hors-normes comme des lacunes, alors que bien managés, les joueurs peuvent en faire une force.

 

Dans les « escales » du livre, ces passages où tu interviewes des gens ayant des fonctions autres que managers, tu interroges un agent de pilotes de formule un qui fût notamment longtemps celui de Mika Hakkinen (double champion du monde de F1 en 1998 et 1999, ndlr). Est-ce que le rôle d’agent dans le football n’est pas aussi une forme de management ? Et qui aurait pris au moins autant d’importance que le management des entraîneurs ?

Je pense que oui, puisque l’agent est un gestionnaire de carrière. Quand Mino Raiola (agent de Paul Pogba et Zlatan Ibrahimovic, entre autres, ndlr) dit tout et n’importe quoi sur ses joueurs dans la presse, ça a forcément des impacts, notamment sur la relation entre le joueur et son entraîneur. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles un joueur a intérêt à bien s’entourer de ce point de vue.

Thierry Henry, par exemple, avait commis de signer un précontrat avec le Real à cause de son père si je ne me trompe pas. Et Martin Djetou (ancien coéquipier d’Henry à Monaco, ndlr) avait expliqué ensuite qu’Henry avait retenu la leçon et s’était entouré en conséquence pour éviter les ennuis. L’agent a donc une importance capitale dans le suivi de la carrière de son joueur et dans le conseil sur ses choix de carrière.

Dans le milieu de l’e-sport, dont je suis issu, c’est un métier qui se développe de plus en plus. J’étais assez réfractaire au début, puisque j’ai connu l’époque où les joueurs n’étaient même pas rémunérés. Mais je m’aperçois aussi qu’avec les montants qui augmentent et les contraintes juridiques de plus en plus importantes sur les contrats, je pense qu’il faut y venir.

Un exemple récent, c’est celui d’Alexandre Song avec le FC Sion qui a appris du jour au lendemain la résiliation de son contrat à cause des pertes financières causées par la pandémie. On peut comprendre que le club ait besoin de faire des économies, mais on ne peut pas couper ses revenus à un salarié, même aussi bien payé, du jour au lendemain.  Et c’est dans ce genre de cas que les compétences d’un agent, notamment sur le plan de la négociation, sont capitales pour permettre la résolution du problème.

 

Tu es issu du milieu de l’e-sport, et il y a des managers issus de ce milieu interviewés dans le livre. Est-ce que tu ne penses pas que, de par son histoire très jeune, l’e-sport est un milieu qui a plus conscience que le foot des contraintes économiques et marketing ?

Alors, concernant les interviews des managers issus de l’e-sport, ce n’est pas moi qui les ai faites. Comme je les connais tous très bien personnellement, on pouvait craindre que ça ne dérive sur des discussions plus personnelles qui auraient pollué le livre. Donc il valait mieux qu’elles soient faites par mes co-auteurs qui gardaient un regard plus neutre.

Pour revenir à ta question, J’ai commencé à jouer aux jeux vidéo quand j’étais enfant. C’est à cette époque que j’ai commencé à regarder du foot à la télé. Et, au-delà du jeu, je m’intéressais à tous les aspects externes : les maillots, les sponsors… A sept ans, j’avais même trouvé un sponsor pour mon équipe qui était une petite boutique d’informatique. Et d’une manière générale, le milieu de l’e-sport a beaucoup fonctionné comme ça au début. Dans une sorte de milieu plus ou moins amateur dans un cadre professionnel qui nous a obligé à nous débrouiller par nous-même et à acquérir du savoir et des compétences dans divers domaines. L’exemple de l’exposition de l’e-sport sur le net ou les réseaux sociaux est assez parlant de ce point de vue. Car malgré le fait que nous étions un petit milieu sans argent, nous étions en avance sur plein de grandes entreprises en la matière. Sur le fait de produire des contenus sur le web comme des petites vidéos trailer ou des résumés de match, le monde du e-sport était très en avance sur le milieu du foot malgré des moyens financiers bien moindres. Il faut dire que les médias traditionnels ne s’intéressaient quasiment pas au e-sport et que c’était notre seul moyen d’existence médiatique. Donc nous étions obligés de penser à trouver des moyens de monétiser nos compétences puisque personne ne le faisait pour nous. Il n’y avait pas de chaîne de télé pour acheter les droits des compétitions par exemple. Et ça nous a donné tout un ensemble de compétences pour savoir trouver une exposition médiatique qui pouvait ensuite se traduire par des rentrées financières. Le site Vie de merde, qui fût un carton médiatique, a été créé par un gars issu du milieu e-sport.

Je vais te faire une comparaison. Quand un footballeur se blesse, il va voir le médecin de son club, va suivre le protocole de soins qu’il lui impose et n’aura pas besoin de chercher à comprendre si ça ne l’intéresse pas. Un joueur d’e-sport, si son PC claque en plein tournoi, il doit réparer lui-même. Donc ça l’oblige à acquérir des compétences techniques qu’il peut réinvestir d’une autre manière. Dans le livre, on interviewe Nicolas Maurer, le directeur de l’équipe vitality qui est une des top équipes mondiales de e-sport en termes de retombées. Et si tu prends son alter ego Fabien Devide, c’est un type qui a tout appris en autodidacte. Et le gars est aujourd’hui à la tête d’une entreprise monstrueuse.

Et donc, oui, toutes ces compétences accumulées avec le temps nous ont donné une vision plus large que celle d’un joueur ou d’un entraîneur de foot qui sort finalement assez rarement de sa zone de confort intellectuelle.

 

Et donc pour prolonger un peu ça, penses-tu qu’il y a une qualité que le milieu du foot devrait prendre au milieu e-sport ?

Je n’ai pas forcément de réponse définitive à t’apporter. Ce serait surement présomptueux. Mais quand je vois tous les soucis récents qu’a connus le football français avec médiapro, je pense que le milieu du foot pourrait justement s’inspirer de nous pour revoir sa manière de se diffuser auprès de certains publics, notamment des jeunes. Quand l’OM a décidé de se lancer sur Twitch, par exemple, j’ai reçu ensuite plein de notifications de clubs qui se sont lancés aussi. Pour prendre un exemple dans une autre discipline, Patrick Mouratoglou m’expliquait que l’âge du spectateur moyen est de 62 ans. Pour un sport se voulant aussi populaire, c’est quand même déplorable. Je pense donc que le football devrait cesser de craindre tout ce qui ne vient pas de son propre milieu et s’ouvrir à d’autres idées pour se diffuser. Jérôme Fernandez (entraîneur de handball et ancien capitaine de la génération dorée des « experts » en équipe de France, ndlr) nous expliquait par exemple que pendant ses années au Barca, les diverses sections du club pouvaient se côtoyer régulièrement. Certes, tous n’étaient pas aussi choyés que Lionel Messi, mais ça crée une culture commune et permet une transmission des idées.

Dans le cas de l’e-sport, une équipe comme Vitality qui est présente sur plusieurs jeux différents va dans cette logique. Cette équipe est, selon moi, ce qui pouvait arriver de mieux à l’e-sport français. On pourrait imaginer que cette équipe devienne le PSG e-sport. Certes, le PSG a bien lancé sa section de e-sport et a essayé de bien faire les choses. Mais pourquoi la meilleure équipe de e-sport en France ne pourrait-elle pas s’affilier à un des meilleurs clubs français omnisports ?

Par contre, je pense aussi que le sport traditionnel a des choses à apporter à l’e-sport. Vitality a créé un espace de mille mètres carrés dédiés à l’e-sport dans Paris. Et je pense que ce lieu a le potentiel pour devenir un lieu de sport-spectacle reconnu au même titre que le Parc des Princes et le Stade de France. Et je pense que Vitality va devoir s’inspirer des deux premiers pour savoir comment monétiser et quelles structures mettre en place. De nombreux clubs de L1 pensent aussi à s’affilier à l’e-sport pour pouvoir créer des évènements pour faire vivre ses structures. L’Olympique Lyonnais s’est d’ailleurs lancé sur Counter Strike. Mais il est encore difficile de persuader les clubs de L1 de se lancer dans l’e-sport sur des jeux autres que les jeux de football.

Donc pour conclure, je pense que les deux disciplines peuvent créer des synergies, notamment sur l’évènementiel. Mais cela va prendre du temps pour que tout se mette en place et que le e-sport soit intégré de manière importante dans les stratégies économiques et marketing des clubs.

 

Propos recueillis par Didier Guibelin

 

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