A l’occasion de la sortie de son livre La Mano Negra, TLMSenFoot (papa de Livres de Foot) a rencontré Romain Molina. Voici la retranscription de cette interview.
Romain Molina a accepté de d’évoquer son enquête sur les forces cachées qui gouvernent le monde du football.
L’INTERVIEW
Toujours, absolument toujours, je me demande : «Où est le piège ? Qui veut baiser qui ? Pourquoi me parler ? »
C’était prévu de sortir le livre au même moment que les Football Leaks ou c’est un coup de chance ?
Pas du tout ! Je savais depuis un moment que les Football Leaks allaient faire une deuxième saison à l’automne car j’ai des copains bossant dans ce collectif, mais à aucun instant je n’ai pensé à ça pour La Mano Negra. Je ne sais pas tellement si c’est un coup de chance d’ailleurs que la sortie a coïncidé, mais je n’ai pas à me plaindre.
Sachant que ton enquête se base presque presque comme « un jeu de pistes », comment as-tu fait pour déceler, regrouper et organiser l’ensemble de tous les éléments que tu as dégoté ?
C’est un vrai jeu de pistes ; presque une chasse au(x) trésor(s). C’est énormément de travail en amont, et pas uniquement journalistique. Je fais ce métier depuis plusieurs années, et au fil du temps, j’ai construit un réseau international (j’ai des contacts presque dans tous les pays du monde, et ce n’est pas une connerie ; pour te donner une idée, je te réponds suite à un appel avec un ancien membre du gouvernement de Hugo Chavez pour évoquer la politique sportive au Venezuela en ces temps, et ce soir, je dois appeler le président de la fédération de football à Anguilla). Sauf que les contacts, les entretiens et les documents, c’est bien joli, mais il faut savoir les exploiter, les mettre en forme et comprendre pourquoi tu fais ça. Toujours, absolument toujours, je me demande : «Où est le piège ? Qui veut baiser qui ? Pourquoi me parler ? » Je n’avais pas toujours ce genre de réflexes avant ; l’âge aide, forcément, comme les erreurs. Je n’aurais pas pu faire La Mano Negra il y a quelques années, c’est certain, je n’avais pas le recul nécessaire sur le milieu, sur moi-même et les relations à autrui. C’était d’ailleurs ça le plus dur dans ce livre : comprendre vraiment les rapports humains avec des gens ne faisant pas partie de mon milieu en théorie.
Est-ce que tu n’as pas peur d’être vu comme un journaliste d’investigation autour des dessous du football exclusivement ?
La seule chose me faisant peur, actuellement, c’est de devenir une caricature de moi-même. Je ne sais pas comment les gens me voient – même si durant mes conférences, j’ai bien une idée -, mais je ne suis que moi-même. Dans tous les livres réalisés, c’est de l’investigation. Près de 50 entretiens réalisés avec Benjamin Henry pour Génération Parker, une cinquantaine autour d’ Unai Emery et près d’une centaine pour le livre autour d’ Edinson Cavani ! Retrouver les gens ayant connu le protagoniste principal, comprendre le contexte, tisser des liens, c’est aussi de l’investigation. Selon moi, l’investigation n’est pas uniquement synonyme d’enquête sur des pratiques sombres, ça peut simplement être autour d’une culture, d’une société, d’un destin positif. Donc oui, à ce niveau, je crois avoir toujours eu une méthode d’investigation. Je ne traite pas uniquement les dessous du football, mais il est vrai qu’en France, je suis un peu seul dans le domaine. Mais pour te donner un exemple, mon prochain livre, ce ne sera pas vraiment les dessous du football, mais plus les dessous du carte version football ; un genre de Galère Football Club 2. Bon, soit, j’ai bien envie un jour d’écrire Football’s Most Wanted Men, d’accord…
Tu parles beaucoup des oligarques et des magnats russes mais il y a de plus en plus d’intermédiaires et d’acteurs venus du monde asiatique. L’Ouest semble se détourner des puissants de l’est. Ne tend-on pas vers un basculement asiatique de la part des clubs européens ?
Tu peux faire le parallèle avec l’économie mondiale et ses échanges commerciaux d’ailleurs. Il est vrai que le président Xi Jinping a utilisé le football dans sa politique étrangère ; j’en avais parlé avec Patrick Aussems, ancien adjoint de Philippe Troussier qui a fait un meeting avec Xi Jinping dans une chambre d’hôtel où ils ont justement évoqué ces thèmes. Néanmoins, la politique actuelle n’est plus propice aux investissements de capitaux chinois dans des clubs européens, bien au contraire. On a cru à un moment que l’Inde pouvait aussi changer la donne, donc je reste prudent. Néanmoins, les stratégies marketing des clubs convergent vers l’Asie, c’est une évidence ; et la Premier League a de l’avance sur tout le monde – il y a même un fan club de Chelsea à Oulan-Bator, en Mongolie !
« Si les fans parisiens étaient au courant, le CUP pourrait déployer un de ses plus beaux tifos, ou du moins l’un des plus réalistes concernant l’histoire récente du PSG: No Pini, No Party.«
« Ce n’est plus House of Cards, c’est certains désormais, mais bien House of Zahavi ». Jusqu’où peut-aller Pini et les autres forces cachées du monde du football ?
Jorge Cyterszpiler, ex-agent de Diego Maradona, a été le chef de campagne de Carlos Menem lors de sa campagne présidentielle en Argentine ; qu’il a gagnée. Donc à partir de là, on peut effectivement se dire que tout est possible. Pour te donner une réponse et une question à la fois: que fait Pini Zahavi avec le président de Chypre ? Il emmène même sa famille le voir ! Pourquoi, comment, aucune idée, mais pique-nique à Limassol, ça ferait un joli titre de chapitre tiens.
On parle beaucoup de N’golo Kanté comme d’un modèle qui a refusé les pratiques un peu sombres et les paradis fiscaux. Tu penses vraiment que N’golo Kanté est l’homme parfait ?
Je pense surtout que Mediapart a écrit n’importe quoi malgré les documents car ils ne connaissent pas l’affaire. Non, je ne pense pas, j’en suis sûr pour le coup, et il y a d’autres journalistes sur le coup, donc ils en parleront sûrement un jour.
Luka Modric Ballon d’Or et associé à un réseau mafieux croate. Le Ballon d’Or 2018, encore un coup de la Mano Negra ?
C’est Footballski derrière tout ça surtout ! D’ailleurs, vu que j’évoquais Mediapart jusqu’avant, c’était absolument SCANDALEUX leur article sur le sujet. Non pas l’article en soit, mais l’effet d’annonce, c’est super drôle, genre : « REGARDEZ-NOUS, ON VA VOUS APPRENDRE LA VERITE, NOUS, HEIN ! » Lisez Footballski, tout était déjà reporté depuis des années, et dans un style moins pompeux d’ailleurs, si je peux me permettre.
J’en ai un peu ma claque des justiciers masqués donneurs de leçon. Au bout d’un moment, stop. Quand on fait des enquêtes, on s’incline devant une cause nous dépassant, celle de la recherche de la vérité, de la morale, etc. Mais visiblement, certains s’inclinent devant leur vanité. Chacun son école.
Jean-Michel Aulas avait beaucoup critiqué les pratiques souterraines de l’AS Monaco et du PSG quitte à provoquer l’indignation des acteurs du foot français. Finalement, est-ce lui qui avait raison ? Finalement, la Mano Negra fonctionne comme une marionnette ?
Il a fait plein de merveilleuses choses et l’OL a globalement un bon fonctionnement, mais le transfert de Nilmar, bon, tout est dans La Mano Negra et ce n’est pas forcément jojo. Pour le reste, il y a effectivement des marionnettistes, et des virtuoses !
Tu penses qu’il y a encore des forces obscures dont on n’a pas la connaissance et qui régissent le monde du football ?
Evidemment. Je pourrais écrire vingt tomes honnêtement, et encore, je dois savoir 5 à 10% de ce qui se passe réellement. Va demander à « O Padrinho », un des plus importants narcos au Brésil récemment arrêté et qui était impliqué dans le football. Va demander à l’ancien mécène du Beitar Jerusalem, Guma Aguiar, disparu en mer…
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué, choqué au cours de ton enquête ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ce travail ?
Ne pas devenir zinzin ou parano. Le fait que j’ai sacrifié tout mon été (et plus) à charbonner comme un malade. J’ai tellement trimé sur cet ouvrage… Je savais pourquoi je le faisais, mais franchement, je me suis promis de ne plus jamais revivre ça. C’était un énorme jeu de pistes, et chaque jour, il se passait quelque chose : un nouvel avancement, un nouvel intervenant, une nouvelle intrigue, et parfois un nouveau corps sans vie. Le Brazilian Football Project, ça a vraiment animé mes rêves ; si tant est qu’on puisse appeler ça ainsi. Mais je suis super content de ce que j’ai pu réaliser, c’était un peu le livre dont je rêvais, sur la forme et le fond. Je m’aperçois que je réponds à côté, donc plus sérieusement : le plus choquant, c’est peut-être la peur et la terreur suscitées par ces questions. Il y a plein de personnes qui étaient terrorisées à l’idée de parler, même comme ça. Beaucoup m’ont demandé si j’avais envie de mourir, ce qui me choque toujours un peu, car je ne suis pas le justicier masqué, faut pas déconner. Je ne révèle rien de grandiose, je me contente d’expliquer les mécanismes et de comprendre ; ce qui est déjà pas mal, mais faut pas surestimer ce que je fais et son impact.
Vous l’aurez compris, la Mano Negra est un plat aux multiples saveurs où les goûts et les couleurs… Bref, vous devinez la suite. Si dans notre jeunesse, nous avons rêvé et idéalisé le football comme un jeu où les passions se déchaînent –, c’est toujours le cas, rassurons-nous, l’Histoire maintient toujours cette part d’ombre qu’il est – et qui sera – très difficile d’éclairer. Plus que de simples forces, les nombreux agents et entremetteurs parmi lesquels Pini Zahavi, Figer, Kia Joorabchian ou encore Boris Berezovsky sont des pierres angulaires de nos système footballistique et politique actuels. Une série originale Netflix qui aurait de la gueule.
La conclusion de la préface de Denis Robert – une inspiration de Romain dans son métier de journaliste – illustre à merveille le propos de la Mano Negra. Et ça donne l’eau à la bouche…
« Remplacez le mot « criminel » par « personne dirigeant le football mondial », et vous obtenez la Mano Negra, à une petite nuance près : ce spectacle n’est pas disponible à la demande sur Netflix, mais réservé à la poignée d’individus montrant patte blanche dans les salles de réunion des cinq étoiles londoniens, parisiens ou moscovites. »
Romain le dit bien : « Après avoir lu la Mano Negra, vous ne regarderez plus jamais le football de la même façon ». Propos vérifiés à la fermeture du livre. Nourri avec des documents explosifs et inédits, la Mano Negra est un ouvrage tout simplement exceptionnel pour comprendre les dessous du football actuel. Un football moderne où l’argent et les magouilles semblent rentrés dans les mœurs et où les joueurs sont de simples marchandises – un parallèle peut être fait avec le Magique Système de Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard. C’est donc ça le football, Pini ?